Louise Michel est accusée avec d’autres personnes d’avoir été, en mars 1883 à Paris, « les chefs et instigateurs du pillage, commis en bande et à force ouverte » de trois boulangeries suite à la manifestation de la place des invalides. Le procès, qui se tient du 21 au 23 juin 1883, la verra être condamné à six ans de prison assortis de dix années de surveillance de haute police, pour « excitation au pillage ». Décidée à se défendre elle-même, voici des extraits de sa plaidoirie, parus dans ses Mémoires.
« C’est un véritable procès politique qui nous est fait ; ce n’est pas nous qu’on poursuit, c’est le parti anarchiste que l’on poursuit en nous. […]
Il y a une chose qui vous étonne, qui vous épouvante, c’est une femme qui ose se défendre. On n’est pas habitué à voir une femme qui ose penser ; on veut selon l’expression de Proudhon, voir dans la femme une ménagère ou une courtisane !
Nous avons pris le drapeau noir parce que la manifestation devait être essentiellement pacifique, parce que c’est le drapeau noir des grèves, le drapeau de ceux qui ont faim. Pouvions-nous en prendre un autre ? Le drapeau rouge est cloué dans les cimetières et on ne doit le reprendre que quand on peut le défendre. Or, nous ne le pouvions pas. […]
Je suis allée à la manifestation, je devais y aller. Pourquoi m’a-t-on arrêtée ? J’ai parcouru l’Europe, disant que je ne reconnaissais pas de frontières, disant que l’humanité entière a droit à l’héritage de l’humanité. Et cet héritage, il n’appartiendra pas à nous, habitués à vivre dans l’esclavage, mais à ceux qui auront la liberté et qui sauront en jouir. […]
On a acquitté M. Bonaparte et on nous poursuit ; je pardonne à ceux qui commettent le crime, je ne pardonne pas au crime. Est-ce que ce n’est pas la loi des forts qui nous domine ? Nous voulons le remplacer par le droit, et c’est là tout notre crime !
Au-dessus des tribunaux, au-delà des vingt ans de bagne que vous pouvez prononcer, au-delà même de l’éternité du bagne si vous voulez, je vois l’aurore de la liberté et de l’égalité qui se lève. Et tenez, vous aussi, vous en êtes las, vous en êtes écœurés de ce qui se passe autour de vous !… Peut-on voir de sang-froid le prolétaire souffrir constamment de la faim pendant que d’autres se gorgent.
Nous savions que la manifestation des Invalides n’aboutirait pas et cependant il fallait y aller. Nous sommes aujourd’hui en pleine misère… Nous n’appelons pas ce régime-là une république. Nous appellerions république un régime où on irait de l’avant, où il y aurait une justice, où il y aurait du pain pour tous. Mais en quoi votre République diffère-t-elle de l’Empire ?
Je n’ai pas voulu que le cri des travailleurs fût perdu, vous ferez de moi ce que vous voudrez ; il ne s’agit pas de moi, il s’agit d’une grande partie de la France, d’une grande partie du monde, car on devient de plus en plus anarchiste. […] Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime. Ce que nous voulons, c’est l’autorité de tous. M. l’avocat général m’accusait de vouloir être chef : j’ai trop d’orgueil pour cela, car je ne saurais m’abaisser et être chef c’est s’abaisser. […]
On ne connaît de patrie que pour en faire un foyer de guerre ; on ne connaît de frontières que pour en faire l’objet de tripotages. La patrie, la famille, nous les concevons plus larges, plus étendues. Voilà nos crimes.
Nous sommes à une époque d’anxiété, tout le monde cherche sa route, nous dirons quand même : Advienne que pourra ! Que la liberté se fasse ! Que l’égalité se fasse, et nous serons heureux ! »
Source : https://fr.theanarchistlibrary.org/library/louise-michel-memoires