En dessous, s’étend la mer. Une nappe bleue, étale. Un grand bleu parcouru de quelques tressaillements. Un piano sans accord, au repos.
Et là-dessus, y a un petit rien, une tâche d’huile qui glisse sur la surface. Un navire, presque une barque. Les autres sont déjà là, multitude de cris et de plumes. Au milieu de ce vide, ce bateau, c’est un monde à lui. Un récif de métal sur lequel serait venue se greffer la vie, ça bouge, ça harangue, ça se débat, ça se verse en bloc sur le pont à l’ouverture des filets.
Alors je pique, on pique, on vole. Par faim, par gourmandise, par jeu, par envie, par plaisir. Alors nous aussi on se bat sur ce festin providentiel. Parce qu’on pense n’en avoir jamais assez, alors qu’il y en a toujours trop. Parce qu’on ne veut pas être de ceux qui en aurait eu moins ou même voulus moins. Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une miette.
Puis il reviendra, ses cales remplies des trésors pillés à l’océan, et nous aussi, nuées ailées l’accompagnant dans sa migration pendulaire. Et les jours qui s’égrainent, qui deviennent des saisons, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Jusqu’à ce que le filet ne ramène que de l’eau.
Alors il y aura des cris, de la rage et des pleurs, des vagues et du sel, sur l’eau comme au ciel. Mais ce sera trop tard, le temple est vide. Ils pensaient y puiser éternellement de quoi vivre, y trouver le sens et la substance. Ils y ont apporté la mort et la désolation.
Ils iront demander leurs dieux. Ceux que l’on prie dans les églises de pierres, que l’on implore dans les ministères, que l’on conjure au fond de son verre. Mais toutes les prières sont vaines, tous les rituels inutiles. Il ne leur restera que des souvenirs du moment où en-dessous s’étendait la mer. Une nappe bleue sur laquelle on dressait la table.
Sorg