T’y a cru toi aussi, que tu trouverais à Poitiers tes repères, un endroit pépère où militer, se retrouver sans se faire emmerder. Raté. Au menu, la bibliothèque libre et populaire (BLP) et la grotte. On a goûté, on n’en a pas repris, par peur de choper une intoxication.
La recette on s’en fout
On retrouve souvent un refus catégorique d’établir des règles, de réfléchir à des processus pour régir le fonctionnement des lieux et des collectifs. On entend trop souvent « on verra bien… », et quand le couac arrive, il faut le gérer dans le vif, souvent au détriment des mêmes : les personnes subissant des dominations et oppressions. Le mode d’organisation opaque, flou et non assumé, permet qu’en-dehors des initié·es personne n’y trouve sa place car personne ne sait comment ça fonctionne.
L’information, c’est le pouvoir, d’autant plus quand elle n’est pas partagée. Voilà comment devenir indispensable : être la seule personne à détenir la boite mail, à gérer les comptes, à connaître les ficelles. Monopoliser pour mieux régner. Être tellement là que le lieu devient à toi et tu deviens le lieu, et dommage si des gentes ne peuvent pas te blairer.
Pour que rien ne bouge rien de mieux que faire l’autruche. Pour une non-gestion des conflits au sein d’un collectif quoi de mieux que de ne pas en parler, de ne même pas envisager des espaces et des moments pour en discuter. Et même quand les discussions ont lieu, il est rare que des décisions soient prise. Pourtant, ne pas prendre parti c’est prendre le parti des oppresseurs.
Ça a un goût bien rance
Être à l’origine d’un projet collectif, de la création d’un lieu donnerait automatiquement un sentiment de légitimité. Qu’est-ce qui pèse le plus au moment de prendre des décisions, le temps passé, les idées proposées, la motive qu’on partage … ou l’ancienneté ? La légitimité, ça n’existe pas, c’est une fable toujours mobilisée par les dominant·es.
Toi, la personne légitime qui te reconnais dans ces lignes, comme tu es là depuis un moment, tu y as perdu ton corps et ton temps. Tu y as mis tellement d’affects que tu ne sais plus lâcher. C’est peut-être le moment de te casser et d’apprendre à te préserver pour ne pas éclabousser les murs avec ta rancœur dès que ça ne se passe pas comme tu l’as prévu. Tu nous écrases avec tes idées gravées dans le marbre, que tu assènes comme vérités suprêmes. Tu détruis les recherches, les tâtonnements, les questionnements par tes certitudes.
Comme une sale odeur
Et oui scoop, même dans ces lieux, les oppressions existent ! Tu t’en fous car tu as l’impression que cela ne te concerne pas – surtout surtout si tu es un mâle cis blanc hétéro et vieux. Que ça ne sert pas LA cause – mais laquelle, surtout la tienne ? Réfléchir sur ses propres privilèges, tu penses que c’est seulement pour les bourgeois, et qu’elles sont reloues ces personnes qui veulent un peu de considération et que les choses changent pour leur bien-être personnel.
Mettre l’eau avant la casserole
Nommer les choses, c’est bien joli mais cela ne suffit pas ! On le voit bien avec la BLP, libre et populaire ou avec la Grotte, qui s’autoproclame anarchiste et féministe¹. Sauf que si personne ne s’accorde sur le sens de ces mots et sur ce que cela implique comme mode d’organisation, comme manière de prendre les décisions, de gérer les désaccords et les problèmes, cela reste des coquilles vides.
Pourtant, y’a moyen d’faire autrement, ce n’est pas une fatalité. Poser des bases communes et les limites, notamment idéologique et politique mais aussi de fonctionnement ça ne mange pas de pain. Mais pour ça, faut prendre le temps de se connaître, de discuter, de faire ensemble et de créer de la confiance par des réunions mais aussi des moments de rencontre plus informels, des bouffes, des jeux… Pour ça, faut aussi se confronter, débattre, et accepter les désaccords, en créant des espaces collectifs et des moments dédiés et opportuns. Etablir collectivement des règles et des processus pour pouvoir vivre et faire des choses ensemble. Et ne pas avoir peur de se tromper.
des endives braisées