Numéro 1, janvier 2020

Sommaire :

La vie avant la retraite
Les syndicats, pour changer quoi ?
L’ordre n’a qu’un seul visage
Manger local
Peinture : contre la transphobie
Encore une histoire de transphobie
Pensée anarchiste : Ma vie valait-elle la peine d’être vécue ?
A tou.te.s les personnes emprisonné·e·s / enrajé·e·s
Vers un monde moins défoncé
Numérique : des bonnes pratiques
En 2020, la police et la bac font toujours leur travail
Lic’lance Libre

Numérique : des bonnes pratiques

Internet, un espace où on passe beaucoup (trop) de temps, pour s’informer, s’organiser, ou se détendre. Un espace pourtant pas du tout safe, où on est constamment espionné·e, où nos données sont enregistrées, conservées, vendues, utilisées par les GAFAM (google, amazon, facebook, apple, microsoft et consorts) pour s’enrichir, par les Etats pour nous surveiller. Et à celleux qui diront « je n’ai rien à cacher », nous répondrons que tout le monde à des choses à cacher, et heureusement. Et que pour rendre le net plus sur pour tout le monde, y compris celleux qui sont opprimé·es, qui s’organisent, qui luttent, voici quelques pratiques de bases à adopter au plus vite.

Oublier les GAFAM

Le modèle économique de ces entreprises, c’est de se faire de l’argent avec nos données. Elles en savent plus sur nous que nos proches, que nous-mêmes ! La solution ? Les logiciels et services libres et respectueux de la vie privée. Pour les trouver : framalibre.org et degooglisons-internet.org.

Navigateur

Si vous utilisez chrome, propriété de google passez à Firefox, qui est libre et qui défend la vie privée, et installer les modules complémentaires uBlock Origin et Decentraleyes. Et pour une navigation totalement anonyme, utilisez Tor Browser, qui permet d’empêcher le fournisseur d’accès internet ou des tiers de surveiller les sites qu’on visite et que les sites apprennent où l’on se trouve malgré nous.

Moteur de recherche

Oubliez google et optez pour DuckDuckGo ou Qwant, qui ne siphonnent pas vos données. Y’a aussi Startpage : les résultats google sans le pistage.

Mail

Microsoft, yahoo, google et tant d’autres ne se gênent pas pour filer des infos aux Etats et aux entreprises, les mails regorgeant de données sensibles en plus du contenu : adresse IP, localisation, heure d’envoi… Pour se protéger de cet espionnage, il est grand temps d’utiliser des boîtes mails respectueuses de la vie privée, mais aussi d’inciter les autres à le faire. J’ai beau avoir un fournisseur mail qui ne me traque pas, quand j’envoie un message sur une boite gmail, google enregistre mes données ! On vous invite vivement à passer sur Riseup, Autistici, Protonmail, ou encore Zaclys. Plus on est a être protégé, plus on fout leur surveillance en l’air.

Le numérique c’est fantastique, mais la meilleure manière de ne pas se faire pister, voir d’être anonyme, c’est encore de rester loin des claviers, de nos ordis et de nos téléphones. N’oublions jamais qu’avec un téléphone, on se ballade avec un mouchard dans la poche

pot-au-feu

Vers un monde moins défoncé

L’alcool est un fléau qui emporte prématurément la vie de près de 40 000 personnes par an en France. Les méfaits de l’alcool ne peuvent être réduit à une question de santé personnelle ou d’accidents de la route. C’est aussi un élément constitutif de la virilité et des violences patriarcales mais également un outil de contrôle et de soumission des individus et populations, que ce soit au travail ou dans les ghettos américains. C’est avec l’aide de l’alcool que les colons ont massacré les populations amérindiennes, c’est ce qui permet à Danièle Ricard et à sa famille d’être parmi les plus grandes fortunes de France (plus de 6 500 000 000 €).

Le texte a été publié dans le contexte nord-américain, et cela se ressent à différents niveaux. Mais ça ne change rien à la pertinence des nombreuses réflexions présentes. Ce texte n’est pas seulement un témoignage, c’est aussi un appel à réfléchir sur notre rapport à l’alcool (et à toutes drogues), non pas seul·e mais avec nos proches, afin de s’émanciper de l’intoxication. Réfléchir à la place de l’alcool dans nos vies quotidiennes, dans nos fêtes et dans nos luttes. Prendre conscience qu’il est toujours présent, c’est cette bière aux concerts de soutiens, ce vin chaud sur les blocages, ce verre au bar après la réunion.

Vers un monde moins défoncé et merdique – Sobriété et lutte anarchiste de Nick Riotfag | traduit par les éditions Pailettes

Télécharger la brochure.

:^)

A tou.te.s les personnes emprisonné·e·s / enrajé·e·s

A tou.te.s les personnes emprisonné·e·s / enrajé·e·s / déterminé·e·s à construire un futur meilleur, qu’ielles soient d’Algérie ou d’ailleurs.

Rugir. Eclater. Faire sauter ces murs de charbon, noirs de dépit, de résignation.

Ouvrir des lignes d’horizon, faire danser les sourires, dont cette révolution a pris si tendrement le nom.

Paré·e·s de l’étoffe de la liberté, iels marchaient droit·e·s, sans rouge au front, sur les décombres de ce pouvoir arbitraire. Iels prenaient les boulevards. Hakim, Djalal, et les autres, étaient conscient·e·s qu’iels encourageaient le vent à devenir tempête, à prendre sa place, gonflé d’envies de changement.

Depuis trop longtemps, le plomb pesait sur les épaules des survivant·e·s, raclant le fond des abysses de son encre colossale, et dévorant tout espoir. Les yeux rivés vers le bleu, certains, certaines, avaient tenté l’ailleurs. Mais combien de temps tiendraient-iels loin des leurs, dans la grisaille et le sentiment, souvent, d’être de trop ?

Quand survient la balafre. La tâche électorale. Celle qui abîme encore un peu plus, réouvre la plaie. Que le sang coule, mais cette fois, pas gratuitement. « On veut qu’il serve de ciment pour construire. » Voici le cri d’alarme de la Révolution. Pour Agir, pour Nous, pour pouvoir Dire. Haut et fort, se faire entendre. Rugir.

Le verdict tombe. « Atteinte à l’unité de l’Etat ». La prison comme nouvel horizon. À travers les fissures, les écailles de peinture du pénitencier d’El-Harrach, un murmure, un sifflement. L’heure arrive. Celle où les enfants du vent que vous êtes retrouveront le tourbillon. La vie, à laquelle on s’accroche, « aussi difficile soit-elle, toujours plus belle est-elle », peut-on lire quelque part, gravé sous la peau d’un détenu, prête à éclater

père sonne

Pensée anarchiste : Ma vie valait-elle la peine d’être vécue ?

Emma Goldman est née en 1869 au sein de l’empire russe. Elle émigre aux États-Unis  en 1885. En 1892, elle organise avec Alexander Berkman une tentative d’assassinat sur  Henry Frick, un important magnat de l’acier. Il est notamment connu pour le mauvais entretien d’un barrage lui appartenant conduisant à la mort de près de 2200 personnes lors des inondations de Johnstown en 1889. Durant le reste de sa vie, elle mène une intense propagande anarchiste, à travers notamment de nombreuses tournées de conférences. C’est à 65 ans qu’Emma Goldman écrit ce texte.

« Depuis les tous premiers souvenirs de mon enfance en Russie, je me suis rebellée contre l’orthodoxie sous toutes ses formes. Je n’ai jamais pu supporter d’être témoin de la cruauté et j’étais révoltée par la brutalité légale infligée aux paysans de notre voisinage. Je versais des larmes amères lorsque les jeunes gens étais enrôlés dans l’armée et arrachés à leurs proches et à leur foyer. J’éprouvais du ressentiment envers le traitement de nos serviteurs, qui faisaient le travail le plus dur et qui étaient néanmoins logés dans des dortoirs misérables et se nourrissaient des restes de notre table. Je fus indignée lorsque je découvris que l’amour entre des jeunes gens d’origine juive et non juive était considéré comme le crime des crimes et la naissance d’un enfant illégitime comme l’immoralité la plus abjecte. […]

En venant en Amérique, j’ai partagé le même espoir que la plupart des immigrants européens et la même désillusion, bien que cette dernière m’ait affectée plus profondément. On n’autorise pas l’immigrant sans argent et sans relation à caresser l’illusion confortable que l’Amérique est un oncle bienveillant qui assure la garde affectueuse et impartiale de ses neveux et nièces. J’ai bientôt appris que, au sein de la république, il existe une multitude de façons par lesquelles les forts, les malins, les riches peuvent s’emparer du pouvoir et le garder. J’ai vu tant de travaux pour de petits salaires, qui maintenaient juste à la limite de la misère, au profit de quelques-uns qui faisaient d’énormes profits. J’ai vu les tribunaux, les chambres de législateurs, la presse et les écoles – en fait, tous les lieux d’éducation et de protection – utilisés, en réalité, comme instruments pour la survie d’une minorité, alors que les masses se voyaient refuser tous les droits. […]

En outre, le gouvernement protège le fort au détriment du faible, institue des tribunaux et des lois que le riche peut enfreindre et que le pauvre doit respecter. Il permet au prédateur riche de faire la guerre afin de conquérir des marchés pour les privilégiés, d’apporter la prospérité aux gouvernants et la mort à la masse des gouvernés. Mais ce n’est pas seulement le gouvernement, au sens de l’État, qui est destructeur de toutes les valeurs et qualités individuelles. C’est tout l’ensemble de l’autorité et de la domination institutionnelle qui étrangle la vie. Ce sont les superstitions, les mythes, les faux-semblants, les faux-fuyants et la servilité qui soutiennent l’autorité et la domination. C’est la vénération envers ces institutions, inculquée par l’école, l’église et la famille, afin que l’individu pense et obéisse sans protester. […]

Ceux qui détiennent l’autorité ont abusé, et abuseront toujours, de leur pouvoir. Et les exemples contraires sont aussi rares que des roses poussant sur les icebergs. La Constitution, loin de jouer un quelconque rôle libérateur dans la vie du peuple américain, leur a volé la capacité de dépendre de ses propres ressources et de penser par lui-même. Les Américains sont si facilement dupés par la sanctification de la loi et de l’autorité. En fait, le mode de vie a été standardisé, banalisé et mécanisé comme la nourriture en boîte et les sermons du dimanche. Tout le monde gobe les informations officielles et les croyances et idées prêtes-à-porter. […]

Je considère l’anarchisme comme la plus belle et la plus utile des philosophies qui aient été élaborées jusqu’à ce jour pour l’exercice de l’expression individuelle et les relations qu’il établit entre l’individu et la société. […]

Si les systèmes par lesquels les hommes peuvent se nuire les uns les autres, telle que la propriété privée, étaient supprimés, et si le culte de l’autorité pouvait être rejeté, la coopération serait spontanée et inévitable et l’individu considérerait sa contribution à l’amélioration du bien-être social comme sa plus haute vocation. »

Encore une histoire de transphobie

par le collectif Insolent.E.S

C’est une grande déception pour nous de constater que, malgré une tolérance feinte pour les idées féministes, une partie de nos prétenduEs camarades considère toujours la lutte des personnes trans pour leurs propres conditions d’existence comme une lubie libérale et dispensable. A Poitiers comme partout ailleurs, la transphobie ne s’arrête pas aux portes du milieu militant. Nous avons décidé de revenir publiquement sur le cas de la Grotte.

La Grotte s’est illustrée récemment dans la diffusion de brochures transphobes, antiféministes, lesbophobe et franchement réac. Celles-ci sont diffusées notamment par des membres de l’OCL (Organisation Communiste Libertaire) et de DGR (Deep Green Resistance). Le conflit aurait pu, et aurait dû, en rester là, dans un local qui n’hésite pas à se revendiquer de l’anarchisme et du féminisme. Pourtant, des personnes ont refusé de retirer les brochures, sous prétexte que ça n’avait pas été décidé collectivement et que ça relevait de la liberté d’expression de chacunE.

Le conflit a traîné sur plusieurs mois. Engeulades entre nous et les réac, réu et dialogue de sourd·es en interne allant jusqu’à l’exclusion de membre, guéguerre par messages interposés, affiches contre la transphobie retirée… De quoi nous faire comprendre qu’on n’était pas les bienvenuEs. La Grotte a organisé une réunion publique à laquelle nous avons accepté de nous rendre. Bien que pratiquement toutes les personnes présentes furent pour le retrait de ces brochures, la grande partie des partisans étant évidemment au abonné absent, aucune décision n’a découlé de cette rencontre.

Nous sommes fatiguéEs de devoir systématiquement rappeler que la transphobie ne constitue pas une opinion politique. Diffuser des brochures qui qualifient les personnes trans de “délire” et de “transhumanisme” et accusent les militantEs queer d’être responsables de la montée de l’extrême droite, ça ne relève pas de la liberté d’expression, mais du fantasme transphobe à la limite de la théorie du complot.

Il est facile pour les personnes cis de remettre en question notre existence en discutant tranquillement autour d’une bière. Mais pour nous, la transphobie a des conséquences concrètes, qui finit par structurer nos vies. Accepter la présence de propagande LGBTIphobe dans un local, c’est lui donner une légitimité et nous pousser vers la sortie en donnant la parole à des personnes qui ne nous veulent que du mal. Et, comme d’habitude, il a suffi de pas grand chose pour que les réacs se sentent pousser des ailes et entraînent tout le local dans une direction nauséabonde.

Il serait temps de comprendre que la transphobie ne se résume pas à battre à mort des femmes trans dans la rue. Nous mégenrer, exiger de nous qu’on se justifie de notre identité ou de nos pratiques sexuelles et amoureuses, mépriser nos luttes et nous exclure silencieusement des espaces collectifs, constituent déjà des violences.

Nos luttes queer et féministes, sont plurielles. Ce ne sont pas des luttes annexes. Merci d’arrêter de nous coller une image de libéralEs-individualistes sur laquelle nous gerbons et contre laquelle nous nous battons. Comment converger avec vous quand vous diffusez de la propagande qui vise à nous détruire ? Comment vous considérer comme des camarades quand vous refusez d’admettre nos existences et nos luttes ? Vous nous accusez de diviser LA lutte, alors que c’est vous-mêmes qui nous en excluez.

Nous en avons assez d’être systématiquement rejetéEs et isoléEs de combats qui sont aussi les nôtres. On ne va pas devenir cis ou hétéro pour vous faire plaisir, et pourtant on ne peut pas faire la révolution toustes seulEs. Pour lutter ensemble, ça commence par arrêter de se foutre de notre gueule !

Manger local

T’y a cru toi aussi, que tu trouverais à Poitiers tes repères, un endroit pépère où militer, se retrouver sans se faire emmerder. Raté. Au menu, la bibliothèque libre et populaire (BLP) et la grotte. On a goûté, on n’en a pas repris, par peur de choper une intoxication.

La recette on s’en fout

On retrouve souvent un refus catégorique d’établir des règles, de réfléchir à des processus pour régir le fonctionnement des lieux et des collectifs. On entend trop souvent « on verra bien… », et quand le couac arrive, il faut le gérer dans le vif, souvent au détriment des mêmes : les personnes subissant des dominations et oppressions. Le mode d’organisation opaque, flou et non assumé, permet qu’en-dehors des initié·es personne n’y trouve sa place car personne ne sait comment ça fonctionne.

L’information, c’est le pouvoir, d’autant plus quand elle n’est pas partagée. Voilà comment devenir indispensable : être la seule personne à détenir la boite mail, à gérer les comptes, à connaître les ficelles. Monopoliser pour mieux régner. Être tellement là que le lieu devient à toi et tu deviens le lieu, et dommage si des gentes ne peuvent pas te blairer.

Pour que rien ne bouge rien de mieux que faire l’autruche. Pour une non-gestion des conflits au sein d’un collectif quoi de mieux que de ne pas en parler, de ne même pas envisager des espaces et des moments pour en discuter. Et même quand les discussions ont lieu, il est rare que des décisions soient prise. Pourtant, ne pas prendre parti c’est prendre le parti des oppresseurs.

Ça a un goût bien rance

Être à l’origine d’un projet collectif, de la création d’un lieu donnerait automatiquement un sentiment de légitimité. Qu’est-ce qui pèse le plus au moment de prendre des décisions, le temps passé, les idées proposées, la motive qu’on partage … ou l’ancienneté ? La légitimité, ça n’existe pas, c’est une fable toujours mobilisée par les dominant·es.

Toi, la personne légitime qui te reconnais dans ces lignes, comme tu es là depuis un moment, tu y as perdu ton corps et ton temps. Tu y as mis tellement d’affects que tu ne sais plus lâcher. C’est peut-être le moment de te casser et d’apprendre à te préserver pour ne pas éclabousser les murs avec ta rancœur dès que ça ne se passe pas comme tu l’as prévu. Tu nous écrases avec tes idées gravées dans le marbre, que tu assènes comme vérités suprêmes. Tu détruis les recherches, les tâtonnements, les questionnements par tes certitudes.

Comme une sale odeur

Et oui scoop, même dans ces lieux, les oppressions existent ! Tu t’en fous car tu as l’impression que cela ne te concerne pas – surtout surtout si tu es un mâle cis blanc hétéro et vieux. Que ça ne sert pas LA cause – mais laquelle, surtout la tienne ? Réfléchir sur ses propres privilèges, tu penses que c’est seulement pour les bourgeois, et qu’elles sont reloues ces personnes qui veulent un peu de considération et que les choses changent pour leur bien-être personnel.

Mettre l’eau avant la casserole

Nommer les choses, c’est bien joli mais cela ne suffit pas ! On le voit bien avec la BLP, libre et populaire ou avec la Grotte, qui s’autoproclame anarchiste et féministe¹. Sauf que si personne ne s’accorde sur le sens de ces mots et sur ce que cela implique comme mode d’organisation, comme manière de prendre les décisions, de gérer les désaccords et les problèmes, cela reste des coquilles vides.

Pourtant, y’a moyen d’faire autrement, ce n’est pas une fatalité. Poser des bases communes et les limites, notamment idéologique et politique mais aussi de fonctionnement ça ne mange pas de pain. Mais pour ça, faut prendre le temps de se connaître, de discuter, de faire ensemble et de créer de la confiance par des réunions mais aussi des moments de rencontre plus informels, des bouffes, des jeux… Pour ça, faut aussi se confronter, débattre, et accepter les désaccords, en créant des espaces collectifs et des moments dédiés et opportuns. Etablir collectivement des règles et des processus pour pouvoir vivre et faire des choses ensemble. Et ne pas avoir peur de se tromper.

des endives braisées

1 : communiqué de Safe & Vérères : Pourquoi la Grotte n’est pas un lieu féministe. à lire sur le site de la Sinse

Les syndicats, pour changer quoi ?

Le pouvoir, c’est un jeu. Un grand jeu bien dégueulasse. Parmi les principaux joueurs, y’en a un avec un statut particulier : l’État. L’État, il est à la fois joueur et arbitre. Et puis il fait les règles aussi. Le pouvoir, c’est un jeu de dupe, où pour gagner, faut tricher. Alors l’État triche. Il n’est pas le seul.

Avec la réforme des retraites, une nouvelle partie s’engage. En schématisant comme le font les gouvernants et les grands médias, y’a deux camps : les réformistes pragmatiques autour de l’État sont pour, et les dangereux révolutionnaires autour des syndicats sont contre, et appellent à la grève, à bloquer l’pays, tout ça tout ça.

Sauf que les dés sont pipés. L’État, en plus d’avoir écrit les règles du jeu et d’arbitrer, a aussi choisi le terrain, et l’heure de la partie. Et les syndicats ont décidé de jouer, en respectant les règles. Voilà.

Et concrètement ? Y’a la règle de la personnalisation. C’est un duel d’homme, figure contre figure. D’un côté Édouard Philippe, de l’autre Philippe Martinez. Le premier peut parler tranquillement pendant que le second est constamment coupé, accusé et caricaturé. Pourtant il continue de faire le tour des médias, et accepte cette personnification. Y’a les critères d’évaluation de l’état du mouvement aussi. L’État, comme pour tout l’reste, ne parle qu’en chiffre. Nombre de grévistes, nombre de manifestants, etc. Et que font les syndicats ? Ils répondent par d’autres chiffres. C’est comme ça que depuis le 5 décembre, médiatiquement, la mobilisation est en baisse. Que le mouvement bat de l’aile, prend fin. Tout ça tout ça.

Et y’a la règle de la violence légitime. Selon l’État, casser une vitrine, c’est d’une violence inouïe. Tabasser des personnes, leur crever les yeux, leur arracher les mains, leur marquer physiquement et durablement le corps, c’est une réponse adaptée à une situation violente. Et les syndicats suivent. Ils parlent de casseurs, s’éloignent physiquement des cortèges de tête en manif, et instaurent des services d’ordre, véritable police des cortèges, en collaboration avec les forces de l’ordre. Même à Poitiers ! Il y aurait les bons et les mauvais manifestants. Les légitimes, et les autres. En reprenant cette hiérarchisation issue de l’Etat, les syndicats divisent le mouvement social et empêchent toute solidarité autre que celle qui les concerne. Les personnes en lutte doivent être solidaire des syndicats, en soutenant et en participant à leurs actions, alors que les syndicats se désolidarisent de tout ce qu’ils n’ont pas décidé. Imitant ainsi l’État.

Et puis y’a la règle concernant la manière de finir la partie : la négociation. Alors qu’il n’y a rien à négocier, puisque les syndicats veulent le retrait de la réforme, ils se rendent quand même à tous les temps de négociation, demandant même à être invités lorsqu’ils ne le sont pas. Sauf que pour ça, il faut être respectable : il faut aller dans le sens de l’État. C’est comme ça qu’ils surjouent le conflit : les manifs doivent être gentilles, tout comme les blocages, qui ne doivent pas trop embêter, et tout ça sans violence, évidemment.

En acceptant de s’inscrire dans ce cadre, de jouer cette partie, les syndicats sont assurés de perdre. Parce qu’au mieux, l’État abandonne sa réforme. Et quoi ? Les syndicats crient à la victoire, et tout le monde retourne à sa vie de travail, de précarité, de chômage. Et cette société merdique reprend son cours. En attendant la prochaine partie. La prochaine réforme. Sans autre espoir. Heureusement, tout cela est de plus en plus visible, et de plus en plus de personnes refusent les règles et tentent de cramer le jeu, syndiqué·es compris·es.

chabanais