L’amour c’est quoi ? Un sentiment. Un sentiment qui lie des personnes entre elles. C’est aussi une norme. Parce qu’avec le mot amour, viennent rapidement en tête des images : deux personnes, l’exclusivité et la fidélité, la vie sexuelle, la vie commune, le PACS ou le mariage, le ou les enfants. Comme ça, d’instinct, sans plus y réfléchir. Une norme, c’est un état répandu, moyen, souvent considéré comme une règle à suivre. Une norme, c’est puissant et ça nous dépasse. Cette norme, elle nous oblige.
D’où elle vient ? De partout. Partout autour de nous. Notre famille, nos ami·es, les gens qu’on fréquente. La plupart des personnes autour de nous sont en couple ou cherchent à l’être. Dans la littérature, le cinéma, la peinture, le théâtre, la musique, à la télé, à la radio. Dans la plupart des fictions, des documentaires, des reportages, les personnages sont en couple ou cherchent à l’être.
Et même les personnes qui refusent cette norme font en fonction d’elle. Quand on ne veut pas d’exclusivité, on parle d’amour libre, quand on veut plus qu’une relation à deux, on parle de polyamour. Les mots qu’on utilise, et derrière eux les réalités qu’ils décrivent sont enfermées dans cette vision de l’amour. Parce qu’il faut constamment se définir par rapport à elle. Et ça tue nos imaginaires.
L’amour, cet amour-là, est donné comme la chose la plus désirable sur Terre. Comme le moyen le plus noble d’atteindre le bonheur. Alors que c’est l’un des outils de contrôle social le plus puissant qui existe. Il façonne nos vies, des vies toutes pareilles qui restent dans le cadre, sans déborder. Pour habiter ensemble, il faut louer ou acheter, et donc de l’argent, et donc travailler. Tout comme une fois les enfants né·es, pour les couches, les jouets et la bagnole. Et puis pour montrer son amour, il faut offrir des choses. Il faut faire des efforts pour l’autre, abandonner tout ou partie de ses envies, de ses désirs. Et ne pas prendre de risque, pour ne pas faire de torts à l’autre. Et à force de s’oublier, cet amour-là rend malheureux. Toujours.
Même si on cherche à ne pas être dans cette norme, à ne pas penser et se définir en fonction d’elle, le monde et les personnes qui nous entourent nous y forcent. Nous vivons dans un monde d’amour factice et subit. Qui restreint nos envies et la possibilité même de nos envies. Même consenti par toutes les personnes concernées, se sourire, se parler, se toucher, s’embrasser, se câliner, se caresser n’est pas dépendant des envies de chacun⋅e, mais des situations vis-à-vis de l’amour et du regard des autres. L’hypocrisie est alors généralisée : on ne fait pas ce qu’on désire, mais ce que la norme nous impose. Ou ce qu’on croit qu’elle nous impose.
Le problème n’est pas que deux personnes aient envie de passer du temps ensemble, de baiser seulement ensemble, et tout l’reste. Mais que ce soit la seule option envisagée et souvent envisageable dans cette société mortifère. Tellement que cela bloque nos imaginaires. Qu’on en reste à des formes assez proches de la norme même quand on souhaiterait péter tout ça. Qui aimer ? Comment aimer ? Il est important d’en parler, dans des groupes, à ses proches, à des inconnu⋅es de passage. Pour péter la norme. Nourrir collectivement nos imaginaires. Et faire évoluer les possibles.