Pendant longtemps je ne me suis pas ou peu plaint voir énervé. Puis avec le temps qui passe et des réflexions sur moi-même, j’ai commencé à me mettre en colère plus régulièrement contre ce que je trouve injuste ou inacceptable. En regardant en arrière, je me rends compte du nombre de comportements intolérables que j’ai pourtant toléré, de mécaniques nocives que j’ai soutenu par mon silence. De comment mes difficultés à réagir ont non seulement impacté ma vie mais aussi celle des personnes que j’apprécie.
J’ai l’impression de ne pas être seul dans mes difficultés à réagir à ce que je ne voudrais pas tolérer. Si j’ai autant de mal, c’est parce que j’ai subi tout un travail social visant à me pacifier de la part des institutions qui structurent cette société : l’école, la famille, la police, le travail… Non seulement elles nous inculquent la soumission et la résignation mais en plus elles nous dépossèdent d’outils et de compétences pour gérer les conflits que nous rencontrons inévitablement dans nos vies.
Il est arrivé un moment où plus que de la capacité d’exposer mes désaccords, j’avais (et j’ai encore besoin) de moyens et d’outils pour résoudre les conflits que ces expressions génèrent. Aussi bien pour désescalader le conflit et aboutir à travers la discussion à une résolution qu’à monter le niveau de conflictualité si le conflit s’enlise. Des outils pour ne pas laisser faire sans réagir mais qui me permettent tout de même de garder une certaine maîtrise du risque. Garder son calme et se trouver des complices peut s’avérer plus intéressant que laisser tout de suite s’exprimer sa rage.
Le conflit est le champ social dans lequel se retrouve les personnes impliquées dans les désaccords. Si je pense que le comportement d’une personne dans un lieu est problématique, le conflit n’implique pas que moi et cette personne mais de manière indirecte celleux qui sont présent dans le lieu.
Il ne suffit pas seulement de gueuler sur un tocard qui raconte de la merde, mais aussi soutenir les personnes qui le subissent, confronter les personnes qui défendent le tocard mais aussi toutes celles qui ne réagissent pas. Refuser de prendre position dans une situation d’oppression, c’est maintenir le statu quo, celui qui donne la confiance permettant au tocard de déverser sa chiasse. Un conflit est toujours le produit d’une situation initiale, ne pas prendre parti c’est toujours prendre le parti du dominant.
Mes renoncements ne sont pas seulement des choix personnels mais sont les petites briques qui cons-truisent les prisons qui nous enferment collectivement.
Quand je ne reprends pas les propos sexistes des autres keums, je ne me contente pas d’esquiver le conflit avec des potes mais participe à cette solidarité masculine si nocive. Quand je ne réagis pas aux propos racistes d’un collègue, j’entretiens l’entre-soi blanc. Etc…
Je ne veux plus accepter des demi-changements, des promesses bancales. Je ne veux plus accepter les fausses excuses. Je ne veux plus accepter les silences embarrassés. Je ne veux plus de ce calme qui cache les tempêtes qui bouillonnent en nous. Je veux porter les conflits à la surface et troubler l’eau boueuse de nos compromissions.