Nos rapports aux autres passent par des intermédiaires : les journaux, la radio, la télévision ou encore les réseaux sociaux. Ces intermédiaires façonnent lourdement la représentation que nous avons de la réalité. Nous pouvons ignorer ce qui s’est passé la veille à quelques rues de chez nous tout en étant au courant des moindres détails d’une affaire s’étant déroulée à des centaines de kilomètres. Que cela soit le produit des algorithmes ou d’un directeur de rédaction n’y change pas grand-chose : ce que nous croyons être la réalité quotidienne n’est qu’une collection distordue de fragments de celle-ci. Cette vision partielle est une construction volontaire, issus des jeux de pouvoir et d’influence. Que nous devenions spectateurice de la réalité n’est pas un défaut mais un but.
Plus radicalement que le spectacle médiatique, c’est toute la société qui peut être envisagée comme une immense représentation. Où chacun·e, jour après jour, joue plus ou moins bien son propre rôle. Des travailleureuses plus ou moins obéissant.es face aux ordres des chef·fes. Des femmes plus ou moins disciplinées face aux injonctions des hommes. Des élèves plus ou moins rétifs aux ordres des maîtres.
On a le droit de ne pas apprécier le spectacle et même de s’en plaindre. Avant même l’obéissance et le calme, les professeurs attendent des élèves la présence. Les capitalistes ne s’inquiètent pas que leurs ouvriers les maudissent tant qu’ils reviennent travailler le lendemain. Les violeurs se moquent bien du fait que les féministes décorent les murs avec le décompte de leurs victimes.Le spectacle encourage les contestations qui s’expriment dans sa norme car elles ne le menace pas.
Il est certes agréable de voir des affiches rappelant le sort terribles des ouïghours. Ces dernièr·es sont enfermé·es dans des camps de concentration, stérilisées de force, réduit·es en esclavage et massacré·es par l’état chinois. Mais ces affiches collées au hasard des rues ne rompent pas l’illusion spectaculaire, elles ajoutent seulement leurs voix au concert des autres. Ces affiches ne font pas de lien entre ce qui se produit là-bas et ici.
Aurait pourtant put être nommées et ciblées les entreprises profitant directement de l’oppression des ouïghours (comme Zara, Adidas, Gap ou encore H&M) ou le centre confucius sur le campus universitaire.
Notons que des actions destructrices peuvent tout aussi bien participer au spectacle que quelques mots peuvent le rompre. La casse d’une vitrine de banque, aussi réjouissant soit-elle, peut tout à fait s’insérer dans les critiques tronqués du capitalisme. Celles qui dénoncent la finance tout en défendant les petits patrons, qui ne sont pourtant pas moins différent des grands bourgeois. On se détruit autant le corps sur les chantiers d’une PME familiale que sur les chantiers de Vinci. Le capitalisme n’est pas uniquement une somme de flux financiers mais un ensemble de rapports sociaux. Au contraire quelques lignes peuvent nous amener à développer de nouveaux refus, à nourrir les rebellions d’aujourd’hui et de demain. Les vitres sont plus facilement remplacées que le désir de liberté.
Pour que nos actions et idées ne deviennent pas un spectacle au sein du spectacle, il est plus que jamais important de combiner les idées et les pratiques. Et de ne jamais oubliez que nos ennemis ont des noms et des adresses.