Des rêves

Une des critiques les plus courantes contre les idées anarchistes, c’est celle d’être utopiste. Certes on reconnaît que l’idée est bien belle, l’enthousiasme réel mais quand même… Certes ce monde est merdique mais quand même… Certes le travail est un mouroir mais qui fera le ménage ? Certes la famille est une cellule mais qui gardera les gosses ? Certes la police est une milice meurtrière mais qui empêchera les gens saouls de conduire ?
On pourrait continuer cette liste indéfiniment, tant les objections sont nombreuses. Face à ça, on pourrait se cacher derrière quelques pirouettes intellectuelles et stylistiques. Dire que nous ne sommes pas des vendeurs de programmes, que notre objectif est de permettre à chacun de décider pour soi de ce qu’il veut bâtir, qu’un monde nouveau ne pourra être construit voir même pensée que sur les ruines de l’ancien et autres contorsions. Bien sûr, rien de cela n’est faux en soi, mais cela sert souvent à éviter d’exposer concrètement ce que nous portons dans nos cœurs.
Pourtant, ici et là, et par divers moyens nous essayons d’amener nos mondes dans celui-là. Par l’attaque contre les structures de domination bien évidemment, mais aussi de multiples autres pratiques. Parce que pour obtenir la liberté que nous souhaitons, nous ne pouvons nous contenter de détruire les éléments matériels sur lesquels reposent les structures de domination mais aussi les rapports sociaux qui les reproduisent.
L’avenir que nous souhaitons ne se trouve pas au fond des paroles de quelconques prophètes mais dans la prolongation de nos tentatives. Les choses que l’on met ou essaye de mettre en place sont les esquisses d’un autre monde. Le début de lignes qui s’étirent à l’infini vers l’horizon que l’on souhaite. En continuant ces lignes à travers l’approfondissant des idées, la multiplication des pratiques, et l’aller-retour entre les deux, on peut plus précisément entrevoir l’idéal vers lequel on tend.
Parce que ne pas appeler la police n’empêche pas les gens saouls de conduire, que ne pas porter plainte n’empêche pas les violences, et que refuser la prison ne signifie pas choisir la passivité. Alors on développe d’autres chemin pour faire face aux conflits, d’autres plan pour se protéger des violences, et d’autres manières d’y faire face. Et nous sommes loin d’être les seules à le faire.
Personne n’appelle la police pour empêcher ses potes de reprendre la route ivre, à la place on leur propose de dormir sur place, de les ramener, de rester décuver ou on leur prend les clés de la voiture.
C’est le fait d’insérer ces pratiques au sein d’objectifs plus larges, de buts plus grands, de les faire dialoguer entre elles qui en font des esquisses d’un éventuel futur. Dans l’exemple précédent, si nous agissons comme cela ce n’est pas seulement parce que nous tenons à nos potes et que nous n’aimons pas la police, c’est que nous souhaitons mettre à bas la police et le monde qu’elle défend, que s’en passer sape sa légitimité. Une manière d’agréger des refus qui ne soient pas une simple addition.
On va puiser dans les expériences anciennes comme dans les critiques nouvelles. On va tenter, on va échouer, on va réussir, parfois à moitié. On agira dans l’urgence face à la nécessité, on se retrouvera dépourvu malgré notre préparation. Et on perdra. Souvent voir toujours. Parce que la victoire que nous cherchons n’est pas la fin d’un projet spécifique de l’ennemi, l’arrêt d’une pratique particulière ou le succès d’un événement. C’est une transformation radicale de tous les rapports sociaux qui tissent cet enfer.