Quand on commence à parler de lutte conte la prison d’un point de vu féministe, on peut avoir dans la minute une remarque du genre « mais les violeurs* quand même ! ». Alors trigger ce texte va parler de ça un peu (pas de détail, pas de description) mais c’est surtout une tentative de réflexion anarca-féministe plus générale.
pourquoi parler de ça
Les luttes féministes contre la taule ne s’arrêtent pas à la question des violeurs, heureusement. Seulement dans les critiques anti-carcérales il y a parfois un vide à ce sujet. Est-ce délibéré ? Trop épineux ? Casse-gueule ? Essayons de se frotter aux ronces. La proportion pour viol ou agression sexuelle en taule est relativement faible (10,7 %, source OIP) alors certain·e ne trouve peut-être pas judicieux de s’attarder dessus. Plus de la moitié des prisons sont remplis par des peines pour vols ou trafic de stup (source OIP). A ces sujets la critique de l’enfermement est plus “simple”, il suffit de dire que ces personnes pourraient être libres si on changeait notre relation à la propriété et à la légalité (de la défonce notamment). Un braquage, un acte quelconque de rébellion contre la société, peut être vu comme une chouette pratique subversive. Cependant, être en taule pour viol, pédocriminalité, inceste… c’est pas mythifiable, c’est pas excusable et donc on fait quoi avec ça.
la société du viol
Les violences sexuelles et sexistes font partie du patriarcat, elles ne sont pas des faits isolés ou le résultat de comportements individuels « déviants ». Elles sont la norme. Le produit d’individus bercés dans une société qui diffuse la culture du viol. On peut juste vous dire de regarder, écouter autour de vous, de réfléchir 5 minutes à vos comportements ou vécus. Ce n’est pas parce que les personnes autrices sont le produit d’une société sexiste, qu’elles ne sont pas responsables de leurs actes, elles le sont. Reconnaître qu’on merde, qu’on a merdé c’est possible, changer c’est possible. Les personnes qui acceptent de jouer ce rôle, qui choisissent de ne pas s’en extraire, qui profitent de leurs privilèges, ces personnes sont complices de ne rien faire pour changer elles-mêmes et leurs comportements et pour ça, ce sont des merdes. Seulement, on peut aussi considérer que la merde est partout, autour de nous et aussi en nous toustes. Penser que la prison pour les violeurs est un remède miracle n’a pas de sens. Penser que la prison tout court est un remède à quoi que ce soit n’a pas de sens. Penser qu’il existe un remède miracle contre les violeurs n’a pas plus de sens.
problème dans le système
La police, la justice, la prison ne sont pas là pour vous « protéger » car ces institutions sont les rouages d’un état patriarcal qui protège les auteurs et perpétue ces violences à l’intérieur même de ses institutions. Demander des droits, c’est demander à l’état patriarcal de s’en porter garant, c’est demander à la source même des oppressions d’y mettre fin. La culture du viol imprègne les flics, les juges, les avocat·es, les procureur·es, les magistrat·es, iels appliquent leurs représentations sexistes et raciste sur les concerné·es et parmi elleux il y a aussi des agresseureuses qui soutiennent et protègent les autres. Qui font les lois ? Des hommes cis, hétéronormés, blancs et riches. Qui remplissent les taules ? Toustes les autres… Les non-blanc·hes, les pauvres, les pas normé·es, les trans… Penser la taule comme une option possible, c’est oublier les biais de ce système et fermer les yeux sur ce qu’il perpétue. Bien qu’avoir recours au pénal, porter plainte, pour certaine est une question de survie à un moment donné, cela ne reste pas une solution en soit, c’est un palliatif. Le problème est systémique. Lutter contre le patriarcat ne se cantonne pas à une tentative de changer des comportements, c’est lutter aussi pour la destruction de tout un système oppressif, pénal et étatique.
les agressions ne s’arrêtent pas aux portes des taules
Les biais patriarcaux sont présents en prison comme partout ailleurs, la prison n’est que le reflet de la société. Les prisonier·es ne sont pas des héro·ines exemptes de comportement de merde. La prison n’exclut pas le sexisme, la lesbophobie, la transphobie, l’homophobie… Au sein même de la taule il y a des viols et des agressions. Les personnes homo et les trans en sont très souvent victimes. Pour tenter d’éviter ça iels se retrouvent contraint·es d’être placé·es à l’isolement, c’est à dire en cellule individuelle, sans aucun contact avec les autres prisonier·es et le moindre mouvement encadré par des matons. Iels subissent donc une double peine. Autre exemple, les violeurs condamnés, appelés « pointeurs », se font souvent défoncer, par les autres détenus ou par les matons. La taule c’est comme la société, une vaste hypocrisie, ça condamne le viol par le viol. Quand un mec cis défonce un violeur en taule, il défonce un violeur “reconnu”, il frappe ce que la société à travers sa police, ses tribunaux et ses taules reconnaît comme un violeur. Par sa violence, il renforce la séparation symbolique entre lui et le violeur. L’usage de la violence lui permet bien souvent d’éviter de réfléchir sur ses propres comportements et de continuer de se voiler la face. Cette violence là, qui consiste à s’acharner sur le bouc émissaire du viol n’a rien à voir avec celle menée par les survivant·es contre leurs bourreaux. La prison de part sa violence permanente, encourage et perpétue la violence viriliste.
Alors franchement, si on pense encore une minute que la taule est une solution pour régler son compte au patriarcat, on se fout un barreau dans l’œil.
pour qu’on se tienne sages
Les viols ne se sont pas magiquement arrêtés depuis qu’ils sont criminalisés, ce qui remonte à 1810 quand même. La soi-disant menace de la prison ne sert donc à rien. La prison n’a aucune incidence sur la culture du viol, voir pire, elle entretient une image fantasmée du monstre alors que la plupart des agressions ont lieu dans le cercle familial ou par des personnes connues de lea survivant·e. Elle nous maintient dans une peur stéréotypée, pourtant les agressions sexistes sont perpétués par tout le monde, dans des milieux populaire, chez les bourgeois, chez les anar… Cette peur sert aussi à nous maintenir dans un statut de victime incapable d’agir, de réagir. Cela nous dépossède de tout droit de réponse, de toute recherche de solution par nous même et pour nous même. On parle souvent de la violence de l’état et de la nécessité à utiliser cette même violence contre celui-ci et ses représentant·e. Ne sommes-nous pas là aussi, face aux violences sexistes structurelles, dans la nécéssité d’utiliser cette même violence pour en combattre ses représentant·e ? C’est à chacun·e de savoir et choisir ou placer ses curseurs de vengeance, de pardon, de réparation, d’acceptation et de survie.
une prison genrée
Tout le système pénal entretient des normes de genre qui enferment doublement, physiquement et symboliquement dans des rôles stéréotypés. La prison participe activement à te faire rentrer dans la norme, soit un mec viril ou soit une meuf docile. La prison t’enferme dans un genre, le genre t’enferme dans une prison. La face cachée de la prison dans une société hétéronormé et sexiste, ce sont les femmes, les mères, les copines, qui payent les conséquences de l’enfermement même dehors. Ce sont elles qui se tapent comme toujours le travail invisible du soin (laver le linge, écrire, soutenir…) et la gestion des gosses s’il y en a. Alors si on veut dire merde à tout ça, faut dire merde aux prisons.
ce monde est une prison
S’opposer à la prison ce n’est pas juste se battre contre des barreaux de fer qui entraveraient des libertés. Les barreaux, tu les as autours de toi, tu les sens dans ta chair, tu les vois dans ta tête, tout le temps. Ce sont toutes les injonctions au genre que tu te prends sur la tronche, toutes les oppressions que tu subies, toutes ces libertés qui n’existent pas pour toi. Ce sont aussi ces barreaux du quotidien qu’il faut faire sauter pour tendre vers la liberté. *si les personnes autrices de violences sexuelles sont mises au masculin, cela ne veux pas dire que les violeuses, agresseuses n’existent pas, seulement qu’en proportion cela représente une moindre proportion.
Pour aller plus loin
Pourquoi faudrait-il punir ?, Catherine Baker, éditions Tahin Party, 2004
Pour elles toutes, Gwenola Ricordeau, Lux Éditeur, 2019
Femme trans en prison, juin 2011 , disponible aussi sur infokiosques.net
Emissions de radio féministe/queer sur la prison sur radiorageuses. net