Les syndicats marchent au pas

Il suffit que les marchands de babioles du centre-ville aillent se plaindre dans la presse le 17 décembre des manifestations pour que magiquement, non seulement la coordination n’appelle à aucune manifestation avant le 9 janvier mais aussi pour que le trajet des suivantes évite le centre ville et se contente de longer les grands boulevards. Le pire est atteint lors de la manifestation du 16 janvier qui part des trois-cités et se finit au parc de blossac.

Il n’y a rien d’étonnant à cela quand on réfléchit posément aux rôles de ces associations. Les principaux syndicats ne sont avant tout que des structures de co-gestion du système capitaliste. Parce que leur défense des travailleureuses en tant que travailleureses et non en tant qu’individu les empêche de critiquer radicalement le travail. On peut ainsi voir des syndicalistes demander le maintien d’une usine, aussi polluante soit-elle, aussi abrutissant que puisse y être la vie qu’on y mène, parce qu’elle fournit des sacro-saints emplois.

De plus, l’immense majorité des syndicats n’ont ainsi aucun problème à admettre des flics, des magistrats ou des matons. Comme par exemple la CGT pénitentiaire, qui sévit à la taule de vivonne. Les prétendues grèves des matons ne pénalisent jamais leur employeur (l’état) mais toujours les prisonnier.eres et leurs proches. Comment donc s’étonner que des organisations qui défendent nos bourreaux tentent ensuite de pacifier notre hostilité à leur encontre. Et ça c’est quand ielles ne décident pas de jouer d’eux-mêmes aux flics à travers les fameux services d’ordres.

Les syndicats, pour changer quoi ?

Le pouvoir, c’est un jeu. Un grand jeu bien dégueulasse. Parmi les principaux joueurs, y’en a un avec un statut particulier : l’État. L’État, il est à la fois joueur et arbitre. Et puis il fait les règles aussi. Le pouvoir, c’est un jeu de dupe, où pour gagner, faut tricher. Alors l’État triche. Il n’est pas le seul.

Avec la réforme des retraites, une nouvelle partie s’engage. En schématisant comme le font les gouvernants et les grands médias, y’a deux camps : les réformistes pragmatiques autour de l’État sont pour, et les dangereux révolutionnaires autour des syndicats sont contre, et appellent à la grève, à bloquer l’pays, tout ça tout ça.

Sauf que les dés sont pipés. L’État, en plus d’avoir écrit les règles du jeu et d’arbitrer, a aussi choisi le terrain, et l’heure de la partie. Et les syndicats ont décidé de jouer, en respectant les règles. Voilà.

Et concrètement ? Y’a la règle de la personnalisation. C’est un duel d’homme, figure contre figure. D’un côté Édouard Philippe, de l’autre Philippe Martinez. Le premier peut parler tranquillement pendant que le second est constamment coupé, accusé et caricaturé. Pourtant il continue de faire le tour des médias, et accepte cette personnification. Y’a les critères d’évaluation de l’état du mouvement aussi. L’État, comme pour tout l’reste, ne parle qu’en chiffre. Nombre de grévistes, nombre de manifestants, etc. Et que font les syndicats ? Ils répondent par d’autres chiffres. C’est comme ça que depuis le 5 décembre, médiatiquement, la mobilisation est en baisse. Que le mouvement bat de l’aile, prend fin. Tout ça tout ça.

Et y’a la règle de la violence légitime. Selon l’État, casser une vitrine, c’est d’une violence inouïe. Tabasser des personnes, leur crever les yeux, leur arracher les mains, leur marquer physiquement et durablement le corps, c’est une réponse adaptée à une situation violente. Et les syndicats suivent. Ils parlent de casseurs, s’éloignent physiquement des cortèges de tête en manif, et instaurent des services d’ordre, véritable police des cortèges, en collaboration avec les forces de l’ordre. Même à Poitiers ! Il y aurait les bons et les mauvais manifestants. Les légitimes, et les autres. En reprenant cette hiérarchisation issue de l’Etat, les syndicats divisent le mouvement social et empêchent toute solidarité autre que celle qui les concerne. Les personnes en lutte doivent être solidaire des syndicats, en soutenant et en participant à leurs actions, alors que les syndicats se désolidarisent de tout ce qu’ils n’ont pas décidé. Imitant ainsi l’État.

Et puis y’a la règle concernant la manière de finir la partie : la négociation. Alors qu’il n’y a rien à négocier, puisque les syndicats veulent le retrait de la réforme, ils se rendent quand même à tous les temps de négociation, demandant même à être invités lorsqu’ils ne le sont pas. Sauf que pour ça, il faut être respectable : il faut aller dans le sens de l’État. C’est comme ça qu’ils surjouent le conflit : les manifs doivent être gentilles, tout comme les blocages, qui ne doivent pas trop embêter, et tout ça sans violence, évidemment.

En acceptant de s’inscrire dans ce cadre, de jouer cette partie, les syndicats sont assurés de perdre. Parce qu’au mieux, l’État abandonne sa réforme. Et quoi ? Les syndicats crient à la victoire, et tout le monde retourne à sa vie de travail, de précarité, de chômage. Et cette société merdique reprend son cours. En attendant la prochaine partie. La prochaine réforme. Sans autre espoir. Heureusement, tout cela est de plus en plus visible, et de plus en plus de personnes refusent les règles et tentent de cramer le jeu, syndiqué·es compris·es.

chabanais