La fin d’un monde

Chaque jour qui passe est un autre jour sous le règne de la catastrophe. Il n’y aura pas d’apocalypse, pas de signe claire, de rupture réellement net, il y aura juste une accentuation continuelle, avec quelques accélérations, une succession de crises. Il y aura des saisons de plus en plus sèches, et des flics de mieux en mieux armés. Il y aura des famines ailleurs et des frontières de barbelés ici. Il y aura un peu plus d’îles qui disparaîtront sous les flots, des kilomètres de digues en béton et des bassines. On travaillera jusqu’à la mort ou on mourra de ne pas avoir de travail.
Nous sommes continuellement bombardés d’informations et de représentations qui nous empêchent de voir clairement ce qui se passe sous nos yeux. Et ce constat concerne autant la catastrophe climatique que la violence du patriarcat, la brutalité du capitalisme et les autres rouages de la domination quotidienne. Ces manipulations reposent toujours sur une combinaison de méthodes pour nous faire accepter l’inacceptable, pour que l’on abandonne nos rêves, pour que l’on se résigne à la résilience.
Il y a bien évidemment le mensonge. On nous ment sur les effets des pesticides, sur les violences policières, sur le contenu des lois votées, sur les buts, les méthodes et les causes.
On nous dépossède de notre capacité d’action en nous montrant le pire et en nous proposant des moyens ridicules pour agir. On nous montre un continent de plastique et on nous incite à mieux trier nos déchets. On nous montre l’horreur de la guerre et on nous invite à allumer des bougies. Les effets désastreux de l’élevage et à devenir flexitarien.ne… Tout paraît si large, si puissant, si contradictoire, que petit à petit, même notre quotidien devient un spectacle. On ne voit plus ici cette église qui défend des violeurs de gosses et s’oppose à une existence libre, on oublie que cette colline est un amas de déchets miniers toxiques, que derrière les murs de ces casernes s’entraînent les bourreaux en uniformes, que personne ne devrait avoir à vivre à côté d’un incinérateur d’ordure, que des maisons sont vides et que des personnes dorment dans la rue…
Mais il est possible de sortir de ce sommeil mortifère. Oui, le mur qui se dresse face à nous est immense. Oui, il nous empêche même d’imaginer ce que l’on pourrait construire de l’autre côté. Mais dans le même temps, il y a toujours des briques à portée de mains.
Oui, il semble si solide qu’il pourrait bien rester debout même en enlevant quelques bons morceaux.
Mais chaque trou dedans et c’est un peu plus d’air qui passe. Chaque trou et c’est de nouvelles briques que l’on peut desceller. Chaque trou nous offre la possibilité de voir un morceau de ce que pourrait être notre vie. Et cette possibilité, nous devons la saisir.
Parce que nous avons besoin d’une projection plus concrète de ce que l’on veut. Ni un programme, ni même un projet, plutôt une multitude d’utopies. Parfois complémentaires, parfois contradictoires. Nous ne pouvons nous contenter d’énumérer les horreurs qu’il faudra nécessairement détruire, nous devons aussi partager les rêves que nous avons possiblement en commun. Pour savoir avec qui les construir et les approfondir.
Car tout cela nous sera nécessaire pour transformer cette fin du monde en la fin de leur monde. Ce monde auquel nous nous retrouvons enchaîné.es à la fois par la contrainte et par notre résignation, par le subterfuge et la complaisance.