Anne O’Nyme
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Manger local
T’y a cru toi aussi, que tu trouverais à Poitiers tes repères, un endroit pépère où militer, se retrouver sans se faire emmerder. Raté. Au menu, la bibliothèque libre et populaire (BLP) et la grotte. On a goûté, on n’en a pas repris, par peur de choper une intoxication.
La recette on s’en fout
On retrouve souvent un refus catégorique d’établir des règles, de réfléchir à des processus pour régir le fonctionnement des lieux et des collectifs. On entend trop souvent « on verra bien… », et quand le couac arrive, il faut le gérer dans le vif, souvent au détriment des mêmes : les personnes subissant des dominations et oppressions. Le mode d’organisation opaque, flou et non assumé, permet qu’en-dehors des initié·es personne n’y trouve sa place car personne ne sait comment ça fonctionne.
L’information, c’est le pouvoir, d’autant plus quand elle n’est pas partagée. Voilà comment devenir indispensable : être la seule personne à détenir la boite mail, à gérer les comptes, à connaître les ficelles. Monopoliser pour mieux régner. Être tellement là que le lieu devient à toi et tu deviens le lieu, et dommage si des gentes ne peuvent pas te blairer.
Pour que rien ne bouge rien de mieux que faire l’autruche. Pour une non-gestion des conflits au sein d’un collectif quoi de mieux que de ne pas en parler, de ne même pas envisager des espaces et des moments pour en discuter. Et même quand les discussions ont lieu, il est rare que des décisions soient prise. Pourtant, ne pas prendre parti c’est prendre le parti des oppresseurs.
Ça a un goût bien rance
Être à l’origine d’un projet collectif, de la création d’un lieu donnerait automatiquement un sentiment de légitimité. Qu’est-ce qui pèse le plus au moment de prendre des décisions, le temps passé, les idées proposées, la motive qu’on partage … ou l’ancienneté ? La légitimité, ça n’existe pas, c’est une fable toujours mobilisée par les dominant·es.
Toi, la personne légitime qui te reconnais dans ces lignes, comme tu es là depuis un moment, tu y as perdu ton corps et ton temps. Tu y as mis tellement d’affects que tu ne sais plus lâcher. C’est peut-être le moment de te casser et d’apprendre à te préserver pour ne pas éclabousser les murs avec ta rancœur dès que ça ne se passe pas comme tu l’as prévu. Tu nous écrases avec tes idées gravées dans le marbre, que tu assènes comme vérités suprêmes. Tu détruis les recherches, les tâtonnements, les questionnements par tes certitudes.
Comme une sale odeur
Et oui scoop, même dans ces lieux, les oppressions existent ! Tu t’en fous car tu as l’impression que cela ne te concerne pas – surtout surtout si tu es un mâle cis blanc hétéro et vieux. Que ça ne sert pas LA cause – mais laquelle, surtout la tienne ? Réfléchir sur ses propres privilèges, tu penses que c’est seulement pour les bourgeois, et qu’elles sont reloues ces personnes qui veulent un peu de considération et que les choses changent pour leur bien-être personnel.
Mettre l’eau avant la casserole
Nommer les choses, c’est bien joli mais cela ne suffit pas ! On le voit bien avec la BLP, libre et populaire ou avec la Grotte, qui s’autoproclame anarchiste et féministe¹. Sauf que si personne ne s’accorde sur le sens de ces mots et sur ce que cela implique comme mode d’organisation, comme manière de prendre les décisions, de gérer les désaccords et les problèmes, cela reste des coquilles vides.
Pourtant, y’a moyen d’faire autrement, ce n’est pas une fatalité. Poser des bases communes et les limites, notamment idéologique et politique mais aussi de fonctionnement ça ne mange pas de pain. Mais pour ça, faut prendre le temps de se connaître, de discuter, de faire ensemble et de créer de la confiance par des réunions mais aussi des moments de rencontre plus informels, des bouffes, des jeux… Pour ça, faut aussi se confronter, débattre, et accepter les désaccords, en créant des espaces collectifs et des moments dédiés et opportuns. Etablir collectivement des règles et des processus pour pouvoir vivre et faire des choses ensemble. Et ne pas avoir peur de se tromper.
des endives braisées
L’ordre n’a qu’un seul visage
Les syndicats, pour changer quoi ?
Le pouvoir, c’est un jeu. Un grand jeu bien dégueulasse. Parmi les principaux joueurs, y’en a un avec un statut particulier : l’État. L’État, il est à la fois joueur et arbitre. Et puis il fait les règles aussi. Le pouvoir, c’est un jeu de dupe, où pour gagner, faut tricher. Alors l’État triche. Il n’est pas le seul.
Avec la réforme des retraites, une nouvelle partie s’engage. En schématisant comme le font les gouvernants et les grands médias, y’a deux camps : les réformistes pragmatiques autour de l’État sont pour, et les dangereux révolutionnaires autour des syndicats sont contre, et appellent à la grève, à bloquer l’pays, tout ça tout ça.
Sauf que les dés sont pipés. L’État, en plus d’avoir écrit les règles du jeu et d’arbitrer, a aussi choisi le terrain, et l’heure de la partie. Et les syndicats ont décidé de jouer, en respectant les règles. Voilà.
Et concrètement ? Y’a la règle de la personnalisation. C’est un duel d’homme, figure contre figure. D’un côté Édouard Philippe, de l’autre Philippe Martinez. Le premier peut parler tranquillement pendant que le second est constamment coupé, accusé et caricaturé. Pourtant il continue de faire le tour des médias, et accepte cette personnification. Y’a les critères d’évaluation de l’état du mouvement aussi. L’État, comme pour tout l’reste, ne parle qu’en chiffre. Nombre de grévistes, nombre de manifestants, etc. Et que font les syndicats ? Ils répondent par d’autres chiffres. C’est comme ça que depuis le 5 décembre, médiatiquement, la mobilisation est en baisse. Que le mouvement bat de l’aile, prend fin. Tout ça tout ça.
Et y’a la règle de la violence légitime. Selon l’État, casser une vitrine, c’est d’une violence inouïe. Tabasser des personnes, leur crever les yeux, leur arracher les mains, leur marquer physiquement et durablement le corps, c’est une réponse adaptée à une situation violente. Et les syndicats suivent. Ils parlent de casseurs, s’éloignent physiquement des cortèges de tête en manif, et instaurent des services d’ordre, véritable police des cortèges, en collaboration avec les forces de l’ordre. Même à Poitiers ! Il y aurait les bons et les mauvais manifestants. Les légitimes, et les autres. En reprenant cette hiérarchisation issue de l’Etat, les syndicats divisent le mouvement social et empêchent toute solidarité autre que celle qui les concerne. Les personnes en lutte doivent être solidaire des syndicats, en soutenant et en participant à leurs actions, alors que les syndicats se désolidarisent de tout ce qu’ils n’ont pas décidé. Imitant ainsi l’État.
Et puis y’a la règle concernant la manière de finir la partie : la négociation. Alors qu’il n’y a rien à négocier, puisque les syndicats veulent le retrait de la réforme, ils se rendent quand même à tous les temps de négociation, demandant même à être invités lorsqu’ils ne le sont pas. Sauf que pour ça, il faut être respectable : il faut aller dans le sens de l’État. C’est comme ça qu’ils surjouent le conflit : les manifs doivent être gentilles, tout comme les blocages, qui ne doivent pas trop embêter, et tout ça sans violence, évidemment.
En acceptant de s’inscrire dans ce cadre, de jouer cette partie, les syndicats sont assurés de perdre. Parce qu’au mieux, l’État abandonne sa réforme. Et quoi ? Les syndicats crient à la victoire, et tout le monde retourne à sa vie de travail, de précarité, de chômage. Et cette société merdique reprend son cours. En attendant la prochaine partie. La prochaine réforme. Sans autre espoir. Heureusement, tout cela est de plus en plus visible, et de plus en plus de personnes refusent les règles et tentent de cramer le jeu, syndiqué·es compris·es.
chabanais
La vie avant la retraite
Ça fait plusieurs semaines qu’on gueule contre la réforme des retraites. Qu’on gueule en adoptant une posture défensive : gardons la retraite par répartition.
Mais qu’est-ce que la retraite ? C’est avant tout une promesse, celle du repos après l’effort, après plus de quarante ans à se ruiner la santé, à subir la tyrannie du réveil et des chef·fes. Si on continue au rythme actuel de deux à trois réformes par décennie, les personnes commençant à travailler maintenant verront passer plus d’une douzaine de réformes avant même de pouvoir espérer toucher la retraite qu’on leur promet aujourd’hui. Si évidemment on n’est pas déjà devenu poussière, si Alzheimer n’a pas déjà ravagé nos cerveaux, si le tabac, l’alcool ou les pesticides ne nous ont pas refilé le cancer, si aucun accident ou flic ne nous a mutilé. Alors peut-être que pendant quelques années on pourra décider de l’occupation de nos journées. Avec une espérance de vie en bonne santé à 64,5 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes, beaucoup ont la maladie et la mort avant la retraite. Et en plus, pourquoi penser à l’équilibre des caisses de retraites en 2060 alors que les scientifiques nous prédisent le pire sur la planète d’ici 2030 ?
Combien acceptent de sacrifier la majeure partie de leur vie dans l’espoir d’en profiter quelques années ? Combien d’envies refoulées pour rien ?
Celleux qui nous promettent les retraites sont les mêmes qui, il y a quelques siècles promettaient aux esclaves le paradis. Une chaîne de plus pour nous attacher à ce monde. Nous faire accepter ce sinistre jeu où ce sont toujours les mêmes exploiteurs qui gagnent.
Cela ne nous empêche pourtant pas de lutter au côté de celleux qui aspirent à la retraite, même si nous ne souhaitons pas uniquement le retrait de cette réforme mais bien la destruction du travail et de son système. Parce que nous voulons vivre, ici et maintenant, et pas hypothéquer nos existences dans l’espoir d’un quignon de pain à ronger dans nos vieux jours, en espérant que l’on survive assez longtemps et avec assez de dents pour pouvoir mordre dedans.
Image tintamarre | texte :^)
Pourquoi le local La Grotte à Poitiers n’est pas un lieu féministe. par Safe & Vénères
Nous sommes un groupe de femmes militantes.
Confrontées quotidiennement aux logiques patriarcales qui traversent notre société, nous constatons que le monde militant n’y échappe pas.
ll est pour nous essentiel de dénoncer les comportements sexistes, virilistes, paternalistes donc autoritaires, à l’œuvre au sein de collectifs se revendiquant par ailleurs féministes.
C’est le cas actuellement à la Grotte, un local qui s’affiche « anarchiste, communiste et féministe ».
En effet, nous y avons connaissance :
- de la présence d’auteur-rice-s de violences
- de propos transphobes et anti-féministes
- d’une banalisation et d’une hiérarchisation des violences sexistes
- de la non prise en compte de la parole de femmes
- d’une tolérance collective de comportements et de propos violents et autoritaires
Une organisation où de tels faits se produisent ne peut se prétendre féministe et n’est pas sécure pour tout-e-s.
Il nous semble important d’en alerter les organisations et les personnes qui y militent ou qui souhaiteraient y militer.
Notre but n’est pas de fermer La Grotte que nous espérons voir devenir un outil de lutte pérenne.
Notre but est d’abattre ce fonctionnement patriarcal, excluant et destructeur.
Notre but est de rompre le silence, afin que ces actes ne se reproduisent plus, au sein de ce local et ailleurs.
Notre but est de lutter contre toutes les formes de domination, quelles qu’elles soient.
Janvier 2020
Safe & Vénères
Email : safe_et_veneres[at]riseup[dot]net
Instagram : @safe.et.veneres
Facebook : Safe&Vénères
Dit vagues actions
Samedi, après avoir bloqué quelques instants la course de la lune autour de la terre, une horde de licornes s’est lancée à l’assaut du commissariat central de Poitiers. Après l’avoir ravagé à coups de paillettes, elles ont envahi la mairie pour y discuter de la destruction du capital et de la coloration des murs de la ville.
Jour de manif à Poitiers. Après trois heures à s’époumoner contre le capitalisme et son monde patriarcal, des milliers de personnes convergent vers un hôtel particulier du centre. Plusieurs pieds-de-biche passent de main en main jusqu’à ce que la porte craque. A l’intérieur, 300m² d’espaces à investir, qui viennent combler l’absence de lieu d’organisation de la ville.
Autodéfense : faire face à la police et à la justice
Au vue du climat actuel qui s’échauffe, quelques docs pour se défendre.
Face à la police / Face à la justice, Guide d’autodéfense juridique (2016)
infokiosques.net/spip.php?article538
Face à la police/Face à la justice propose une vue d’ensemble en 190 pages des procédures pénales courantes. Enquêtes, perquisitions, fouilles, contrôles d’identité, garde-à-vue, “plaider coupable”, prélèvement ADN, procès, peines, fichiers, droit pénal des mineurs : tous ces sujets, et d’autres, sont évoqués dans les différents chapitres. La machine répressive doit agir au nom du droit : connaître celui-ci, c’est apprendre la langue de son ennemi, c’est décrypter son idéologie pour pouvoir se repérer dans les méandres de ses dispositifs de répression. Il devient parfois possible d’échapper aux pièges les plus grossiers et d’user de tous les moyens, même légaux, pour s’en sortir au mieux.
Manuel de survie en garde à vue (2010)
infokiosques.net/spip.php?article1582
On aura beau décrire comment marche la GAV, dans la loi ou dans les faits, on passera toujours à côté d’un point essentiel : comment s’en sortir au mieux, sans aggraver son cas. Il faut avoir bien en tête qu’en GAV on cherche à tout prix à faire parler, à obtenir des aveux. Il importe donc de savoir comment on s’y prend du côté des flics, où est la part de bluff, et où on court un risque en mettant des bâtons dans les rouages de la machine judiciaire (notamment en refusant le fichage). Nous présenterons donc la GAV dans cette perspective : ne pas parler. S’il est nécessaire de s’y tenir, c’est parce que les tribunaux n’ont alors personne à envoyer en prison. Pas de preuves, pas d’aveux, pas de PV : pas de coupable.
Guide du manifestant arrêté (2019)
syndicat-magistrature.org/Le-Guide-du-manifestant-arrete-mis-a-jour-2019-1023
Pour tout savoir sur vos droits si vous êtes : contrôlé·e, arrêté·e, accusé·e, jugé·e en comparution immédiate, fiché·e. Par le syndicat de la magistrature : très jargonneux, mais à jour des dernières lois répressives de 2019.
Des vagues et du sel
En dessous, s’étend la mer. Une nappe bleue, étale. Un grand bleu parcouru de quelques tressaillements. Un piano sans accord, au repos.
Et là-dessus, y a un petit rien, une tâche d’huile qui glisse sur la surface. Un navire, presque une barque. Les autres sont déjà là, multitude de cris et de plumes. Au milieu de ce vide, ce bateau, c’est un monde à lui. Un récif de métal sur lequel serait venue se greffer la vie, ça bouge, ça harangue, ça se débat, ça se verse en bloc sur le pont à l’ouverture des filets.
Alors je pique, on pique, on vole. Par faim, par gourmandise, par jeu, par envie, par plaisir. Alors nous aussi on se bat sur ce festin providentiel. Parce qu’on pense n’en avoir jamais assez, alors qu’il y en a toujours trop. Parce qu’on ne veut pas être de ceux qui en aurait eu moins ou même voulus moins. Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une miette.
Puis il reviendra, ses cales remplies des trésors pillés à l’océan, et nous aussi, nuées ailées l’accompagnant dans sa migration pendulaire. Et les jours qui s’égrainent, qui deviennent des saisons, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Jusqu’à ce que le filet ne ramène que de l’eau.
Alors il y aura des cris, de la rage et des pleurs, des vagues et du sel, sur l’eau comme au ciel. Mais ce sera trop tard, le temple est vide. Ils pensaient y puiser éternellement de quoi vivre, y trouver le sens et la substance. Ils y ont apporté la mort et la désolation.
Ils iront demander leurs dieux. Ceux que l’on prie dans les églises de pierres, que l’on implore dans les ministères, que l’on conjure au fond de son verre. Mais toutes les prières sont vaines, tous les rituels inutiles. Il ne leur restera que des souvenirs du moment où en-dessous s’étendait la mer. Une nappe bleue sur laquelle on dressait la table.
Sorg
Ni or ni maître, Montagne d’or et consorts
6 830 km. C’est la distance qui sépare Poitiers de Cayenne, chef lieu du département de Guyane. 6 830 km, c’est 310 fois Poitiers-Vivonne, alors pourquoi parler ici de la ville du mythique bagne plutôt que de celui de la Vienne ?
C’est que là-bas, dans la forêt se trouve une montagne, une montagne d’or qui fait frémir tous les conquistadors du XXIe siècle. Alors dans les bureaux, les avides préparent la conquête de la forêt. Une immense machinerie humaine et mécanique qui détruira la forêt comme ceux qui y vivent, qui réduira la vie à un lac de cyanure. Tout ça pour quelques paillettes d’or, pour des bijoux, des lingots et quelques soudures.
Mais ce qui se déroule en Guyane, ce n’est pas seulement la création d’une énième mine d’or, la perpétuation et l’extension de l’industrie de l’extraction, toujours prêt à ravager la terre et celleux qui y vivent. Ce qui se déroule là-bas, c’est la continuation du massacre, une autre salle de l’abattoir que certains nomment société.
« Avec l’intention de nuire à la Montagne d’or et au monde qui en a besoin, cet ouvrage est écrit par des individus profondément hostiles à toutes formes d’autoritarisme. C’est avec cette sensibilité que sont abordés la conquête du sous-sol de la Guyane réputée riche en or, son sol, sa géographie, ses populations et multiples réalités sociales. Voyageant de ronds-points en villages, de bureaux d’études en sites miniers, c’est une part de ce pays et de ses complexités qui tente d’être mise en mots avant de tirer les fils d’un entrelcas macabre : ceux de l’extraction minière qui s’intensifie sur ce territoire. »
Les éditions du couac, 190 p., septembre 2019
4 euros prix distro, 6 euros librairie
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