Le spectacle de la contestation

Nos rapports aux autres passent par des intermédiaires : les journaux, la radio, la télévision ou encore les réseaux sociaux. Ces intermédiaires façonnent lourdement la représentation que nous avons de la réalité. Nous pouvons ignorer ce qui s’est passé la veille à quelques rues de chez nous tout en étant au courant des moindres détails d’une affaire s’étant déroulée à des centaines de kilomètres. Que cela soit le produit des algorithmes ou d’un directeur de rédaction n’y change pas grand-chose : ce que nous croyons être la réalité quotidienne n’est qu’une collection distordue de fragments de celle-ci. Cette vision partielle est une construction volontaire, issus des jeux de pouvoir et d’influence. Que nous devenions spectateurice de la réalité n’est pas un défaut mais un but.
Plus radicalement que le spectacle médiatique, c’est toute la société qui peut être envisagée comme une immense représentation. Où chacun·e, jour après jour, joue plus ou moins bien son propre rôle. Des travailleureuses plus ou moins obéissant.es face aux ordres des chef·fes. Des femmes plus ou moins disciplinées face aux injonctions des hommes. Des élèves plus ou moins rétifs aux ordres des maîtres.
On a le droit de ne pas apprécier le spectacle et même de s’en plaindre. Avant même l’obéissance et le calme, les professeurs attendent des élèves la présence. Les capitalistes ne s’inquiètent pas que leurs ouvriers les maudissent tant qu’ils reviennent travailler le lendemain. Les violeurs se moquent bien du fait que les féministes décorent les murs avec le décompte de leurs victimes.Le spectacle encourage les contestations qui s’expriment dans sa norme car elles ne le menace pas.

Il est certes agréable de voir des affiches rappelant le sort terribles des ouïghours. Ces dernièr·es sont enfermé·es dans des camps de concentration, stérilisées de force, réduit·es en esclavage et massacré·es par l’état chinois. Mais ces affiches collées au hasard des rues ne rompent pas l’illusion spectaculaire, elles ajoutent seulement leurs voix au concert des autres. Ces affiches ne font pas de lien entre ce qui se produit là-bas et ici.
Aurait pourtant put être nommées et ciblées les entreprises profitant directement de l’oppression des ouïghours (comme Zara, Adidas, Gap ou encore H&M) ou le centre confucius sur le campus universitaire.
Notons que des actions destructrices peuvent tout aussi bien participer au spectacle que quelques mots peuvent le rompre. La casse d’une vitrine de banque, aussi réjouissant soit-elle, peut tout à fait s’insérer dans les critiques tronqués du capitalisme. Celles qui dénoncent la finance tout en défendant les petits patrons, qui ne sont pourtant pas moins différent des grands bourgeois. On se détruit autant le corps sur les chantiers d’une PME familiale que sur les chantiers de Vinci. Le capitalisme n’est pas uniquement une somme de flux financiers mais un ensemble de rapports sociaux. Au contraire quelques lignes peuvent nous amener à développer de nouveaux refus, à nourrir les rebellions d’aujourd’hui et de demain. Les vitres sont plus facilement remplacées que le désir de liberté.
Pour que nos actions et idées ne deviennent pas un spectacle au sein du spectacle, il est plus que jamais important de combiner les idées et les pratiques. Et de ne jamais oubliez que nos ennemis ont des noms et des adresses.

Relever les bras

Pour beaucoup, quand on évoque le sport, on pense aux cours de sport humiliants, aux profs qui nous forcent, aux mecs virils et violents qui nous matent, nous jaugent, nous jugent. Et puis on pense aux millionnaires, à la pub, et à toutes ces conneries dont parlent constamment les medias alors qu’on s’en tape. En gros, on pense oppression patriarcale et capitalisme. Mais loin de tout ça, le sport, ça peut aussi être autre chose. Ca peut même être émancipateur, à condition qu’il soit non-autoritaire.
Quand on parle de sport non-autoritaire, on veut en fait parler de sport avec le moins d’autorité possible. Comme dans toutes interactions sociales, l’absence d’autorité n’existe pas. Mais elle est moins un problème à partir du moment où elle est partagée, discutée, et ouvertement consentie. L’objectif, c’est de tendre vers le moins d’autorité possible. Pour cela, il faut sortir des schémas traditionnels des clubs sportifs, et penser la pratique différemment : ici comme ailleurs, les normes n’ont rien de normal.

Pour commencer, on a besoin de virer la compétition et son imaginaire. L’objectif de la compétition, c’est de gagner, c’est d’être meilleur que les autres, à tout prix, quitte à les écraser. C’est pour ça que la violence, physique comme verbale, les humiliations, le dopage, entre autres, font partie intégrante de nos représentations du sport. A la finalité (gagner), on préférera la manière, la forme. Se faire plaisir, jouer ensemble, s’entraider, progresser. Dans un environnement bienveillant et safe pour tout le monde. Virer la compétition, ça ne veut pas dire ne plus rencontrer d’autres équipes, juste ne plus les affronter : on organise des matchs pour jouer, rencontrer et s’amuser plutôt que pour dominer et gagner.

L’autorité dans une équipe est personnifié dans la figure du coach, qui est la plupart du temps un mec, même dans les équipes féminines. Le coach a toujours raison, et il sait mieux que tout le monde ce qui est bon pour l’équipe. Pour tuer le coach, il y a l’autocoaching. L’idée, c’est de permettre à chaque membre de l’équipe, ensemble ou à tour de rôle, d’être coach. En pratique, il peut s’agir de binomes qui préparent les différents temps d’un entrainement. Comme ce binome change à chaque fois, ça permet d’impliquer les personnes qui le souhaitent. Et pour celles qui ne se sentent pas assez légitime, l’équipe peut constituer un classeur, physique ou virtuel, avec des marches à suivre, des exercices, etc. Des moments d’échanges et des stages avec d’autres équipes qui ont plus d’expériences peuvent aussi s’organiser pour partager des techniques et des savoirs.

En dehors de l’équipe, l’autorité dans le sport est représenté par l’arbitre, qui est là pour faire respecter les règles et sanctionner. Pour tuer l’arbitre, il y a l’auto-arbitrage ! Contrairement à des idées reçues, l’auto-arbitrage, c’est possible dans tous les sports. A condition parfois de changer les règles pour les simplifier et pacifier le jeu. Par pacifier, on entend éviter les embrouilles et prise de tête, pas les contacts s’ils font partis du jeu et sont librement consentis. Dans beaucoup de sports, les règles sont faites pour les professionnel·les, dans le but de créer du spectacle. Ce qui provoque une augmentation du nombre d’arbitres pour les contrôler. Le foot est un bon exemple : il peut y avoir jusqu’à 5 arbitres sur le terrain. Pourtant, il existe des championnats de foot à 7 en auto-arbitrage, avec des règles différentes. Par exemple, les tacles sont interdits. L’auto-arbitrage suppose de changer de mentalité : alors que dans le sport traditionnel, tout ce qui n’est pas vu par l’arbitre est autorisé, il s’agit là de s’arrêter quand on commet une faute, ou quand on nous dit qu’on a commis une faute. Ce qui suppose de respecter les adversaires, et de leur faire confiance.

La question de la mixité ou la non-mixité est essentielle. Pour les femmes, mecs trans et personnes non-binaires, la non-mixité peut-être sécurisante, et permettre de reprendre confiance en soi loin du regard oppressant des hommes. Alors que pour les hommes, la mixité peut permettre de sortir de l’ambiance viriliste.

Pour sortir de l’imaginaire du sport compétitif et donc viril, l’existence de clubs tels que le Black Star et les Pict’aliens est essentiel, puisqu’ils permettent de montrer qu’une autre pratique du sport est possible. Ils permettent à d’autres, dans d’autres sports, de se dire qu’il est possible de continuer à pratiquer ce qu’iels aiment sans forcément subir des violences et des humiliations. Que créer des clubs qui se revendiquent non-autoritaire et qui pratiquent leur sport de manière bienveillante avec un but émancipateur n’est pas une utopie.

Les Pict’Alien

Les Pict’Alien, c’est un jeune club de roller derby en mixité choisie (sans mec cisgenre*) qui se reconnaît dans des valeurs féministes, qui souhaite être engagé et inclusif. Pour nous le roller derby, c’est pas juste du sport !
Ca veut dire créer un cadre accueillant pour évoluer ensemble sur nos compétences et sur nos idées. C’est faire du sport sans la peur d’être jugé.e ou regardé.e de travers parce qu’on à pas fait de sport depuis longtemps, qu’on n’est pas dans l’hétéro-cis-norme, qu’on a pas un corps standardisé, qu’on dis crotte aux stéréotypes de genre imposés… C’est se serrer les coudes, se redonner confiance et rouler, rouler, rouler. On ne sait pas encore où ça nous mènera, mais pt’être un jour, vous nous croiserez en cortège à roulette.
Techniquement, c’est aussi ne pas laisser la gestion du club ou des entraînements dans les mains de peu de personne. Une des devises du roller derby c’est par les joueureuses pour les joueureuses, et ça nous plait bien. Dans le derby, il y a le côté technique du roller qui fait que les personnes plus à l’aise techniquement vont prendre la place de transmetteureuses plus facilement (mais pas toujours), on cherche des solutions pour que le coaching ne soit pas une prise de pouvoir définitive et hiérarchique. Pour cela les entraînements fonctionnent en auto-coaching, un.e ou plusieurs joueureuses anime l’entraînement sur patin ou le renforcement musculaire ou l’échauffement.
Dans le derby une des difficultés c’est l’arbitrage, il y a beaucoup de règles de jeu et notamment qui portent sur la sécurité des autres joueureuses car c’est un sport avec des contacts physiques règlementés. Pour les matchs il faut aujourd’hui quasiment autant d’arbites que de joueureuse sur la piste. Pour ça les joueureuses sont également sollicité.es pour arbitrer les matchs qu’ielles ne jouent pas.
Pour la partie administrative de l’asso, toutes les réus sont des CA où tout.es les membres sont invité.es à prendre partie et à participer à la gestion et à l’organisation.
Et quand même, pour savoir de quoi on parle le roller derby est un sport d’équipe et de contact sur patins à roulettes (appelé aussi quad). On apprend à être agile, solide, rapide… mais aussi la stratégie et le collectif.
Petite explication du jeu : Pour marquer des points, les jammeureuses (attaquant·es) vont devoir doubler un maximum de fois les bloqueureuses (défenseureuses) adverses en effectuant des tours de la piste (track) ovale et plate. Les bloqueureuses ont pour but d’empêcher lea jammeureuse adverse de les doubler, tout en facilitant le passage de leur coéquipier.e. Pour cela, les contacts physiques sont autorisés, mais très réglementés, on ne tape pas n’importe où !
rollerderbypictalien@riseup.net // ou sur facebook – Roller derby Pict’Alien

* personne se reconnaissant dans le genre masculin et qui correspond à celui qu’on lui a assigné à sa naissance, on défend l’autodétermination

Black Star Ultimate

Le Black Star Ultimate est un club fondé avec la volonté particulière d’affirmer des valeurs politiques, à travers la pratique du sport.
Considérant le capitalisme et le patriarcat comme des sources d’oppressions systémiques, considérant nos sociétés comme traversées par un ensemble de rapports de force et de domination, nous pensons qu’il est nécessaire de garder cela à l’esprit lors de nos pratiques sportives, afin de lutter contre ces modèles.
C’est pourquoi il nous tient à cœur de faire exister une alternative quand nous enfilons nos baskets pour aller sur un terrain. Faire du sport autrement, dans un milieu où la compétition tend parfois trop facilement à l’expression de certaines formes de violences (sexisme, racisme, validisme, lgbtiphobie, fascisme, mépris de classe…). Faire du sport pour le plaisir de jouer, à partir de relations égalitaires, basées sur l’entraide. Expérimenter l’autogestion dans une équipe. Et si on peut se marrer, c’est encore mieux.”
Ceci est le début de notre charte, écrite à plusieurs mains en 2019. A la base, une dizaine de camarades et de copaines partageant une envie commune de se réapproprier un terrain de jeux que nous avions, pour la plupart, délaissé il y a des années : le sport collectif. L’exemple du foot populaire dans un coin de la tête, des expériences de vie en squat, des désirs de mise en commun, du punk rock… tout ça conjugué ensemble pour nous mener vers l’Ultimate, un sport sans contact et auto-arbitré. Sans contact signifie pour le Black Star que le terrain n’est pas un espace de confrontation physique difficilement appropriable quand on n’est pas familier avec les normes viriles. Auto-arbitrage signifie pour le Black Star que toutes les personnes impliquées sont responsables de l’application et de l’adhésion aux règles de l’Ultimate et que donc il n’est pas acceptable qu’un quelconque monopole (arbitrage, coaching, esprit du jeu…) s’installe.
Le Black Star peut-être un espace/temps d’éducation populaire, d’expérimentation de l’auto-gestion, de jeux fun et respectueux (si si c’est possible !), de tissage de liens humains, de construction de ponts avec les luttes et les milieux révolutionnaires, de pratique d’une activité physique amusante ou même d’empowerment.

Le placard

Le placard c’est un lieu à remplir d’outils pour déconstruire ce qui nous détruit et reconstruire selon d’autres envies. Un bric à brac pour tendre vers l’autonomie, échanger des savoirs et pratiques, se défendre contre ce monde pourri, créer, inventer… Dans ce lieu on tente d’être attentif·ves aux autres, de créer de nouvelles étagère pour y ranger plein de trucs plus que de reconstruire des murs entre nous.
Le placard est ouvert pour se rencontrer, apprendre les un.es des autres, faire évoluer les et ses idées.
Le placard est un lieu collectif, avec la volonté que sa gestion et son organisation le soit aussi. On tentera d’être moins opaque qu’une porte de placard. *C’est qui on ? C’est un nuage d’individus, à géométrie variable, regroupé pour faire vivre ce lieu et des idées, indépendant de tous partis, orga institutionnelle, petit·e chef·fe… et on souhaite le rester.
Si tu as envie de t’y investir, de proposer des choses la porte du placard est ouverte.

Ouvert le dimanche après-midi et parfois le mercredi
Au 23 route de paris à Poitiers
Le programme à jour sur https://leplacard.noblogs.org

De l’action directe

Voltairine de Cleyre (1866-1912) est une militante et théoricienne anarchiste américaine. Elle s’engage pour une société libre, dénonce l’institution du mariage comme esclavage sexuel, s’oppose à la domination masculine… Elle vie une période de lutte et de combats politiques parfois violents qui l’amèneront à défendre l’action directe comme un moyen d’action pour une révolution sociale. De l’action directe est extrait d’une conférence donnée en 1912 et paraîtra par la suite dans la revue Mother Earth.

« Qu’est-ce que l’action directe ?
[…]
Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, avoir le droit de protester, et a pris son courage à deux mains pour le faire ; toute personne qui a revendiqué un droit, seule ou avec d’autres, a pratiqué l’action directe. […]
Toute personne qui a eu un projet, et l’a effectivement mené à bien, ou qui a exposé son plan devant d’autres et a emporté leur adhésion pour qu’ils agissent tous ensemble, sans demander poliment aux autorités compétentes de le concrétiser à leur place, toute personne qui a agi ainsi a pratiqué l’action directe. Toutes les expériences qui font appel à la coopération relèvent essentiellement de l’action directe.
Toute personne qui a dû, une fois dans sa vie, régler un litige avec quelqu’un et est allé droit vers la ou les personne(s) concernée(s) pour le régler, en agissant de façon pacifique ou par d’autres moyens, a pratiqué l’action directe. Les grèves et les campagnes de boycott en offrent un bon exemple ; […]
Ne vous méprenez pas : je ne pense pas du tout que l’action directe soit synonyme de non-violence. L’action directe aboutit tantôt à la violence la plus extrême, tantôt à un acte aussi pacifique que les eaux paisibles de Siloé. Non, les vrais non-violents peuvent seulement croire en l’action directe, jamais en l’action politique. La base de toute action politique est la coercition ; même lorsque l’État accomplit de bonnes choses, son pouvoir repose finalement sur les matraques, les fusils, ou les prisons, car il a toujours la possibilité d’y avoir recours. […]
C’est grâce aux actions, pacifiques ou violentes, des précurseurs du changement social que la Conscience Humaine, la conscience des masses, s’éveille au besoin du changement. Il serait absurde de prétendre qu’aucun résultat positif n’a jamais été obtenu par les moyens politiques traditionnels ; parfois de bonnes choses en résultent. Mais jamais tant que la révolte individuelle, puis la révolte des masses ne l’imposent. L’action directe est toujours le héraut, l’élément déclencheur, qui permet à la grande masse des indifférents de prendre conscience que l’oppression devient intolérable.
[…]
1) Les partisans de l’action politique nous racontent que seule l’action électorale du parti de la classe ouvrière pourra atteindre un tel résultat ; une fois élus, ils entreront en possession des sources de la Vie et des moyens de production ; ceux qui aujourd’hui possèdent les forêts, les mines, les terres, les canaux, les usines, les entreprises et qui commandent aussi au pouvoir militaire à leur botte, en bref les exploiteurs, abdiqueront demain leur pouvoir sur le peuple dès le lendemain des élections qu’ils auront perdues.
Et en attendant ce jour béni ?
En attendant, soyez pacifiques, travaillez bien, obéissez aux lois, faites preuve de patience et menez une existence frugale […]
[…]
2) Mais la foi aveugle en l’action indirecte, en l’action politique, a des conséquences bien plus graves : elle détruit tout sens de l’initiative, étouffe l’esprit de révolte individuelle, apprend aux gens à se reposer sur quelqu’un d’autre afin qu’il fasse pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes ; et enfin elle fait passer pour naturelle une idée absurde : il faudrait encourager la passivité des masses jusqu’au jour où le parti ouvrier gagnera les élections ; alors, par la seule magie d’un vote majoritaire, cette passivité se transformera tout à coup en énergie. En d’autres termes, on veut nous faire croire que des gens qui ont perdu l’habitude de lutter pour eux-mêmes en tant qu’individus, qui ont accepté toutes les injustices en attendant que leur parti acquière la majorité ; que ces individus vont tout à coup se métamorphoser en véritables « bombes humaines », rien qu’en entassant leurs bulletins dans les urnes !
[…]
3 ) En attendant, tant que la classe ouvrière internationale ne se réveillera pas, la guerre sociale se poursuivra, malgré toutes les déclarations hystériques de tous ces individus bien intentionnés qui ne comprennent pas que les nécessités de la Vie puissent s’exprimer ; malgré la peur de tous ces dirigeants timorés ; malgré toutes les revanches que prendront les réactionnaires ; malgré tous les bénéfices matériels que les politiciens retirent d’une telle situation. Cette guerre de classe se poursuivra parce que la Vie crie son besoin d’exister, qu’elle étouffe dans le carcan de la Propriété, et qu’elle ne se soumet pas.
Et que la Vie ne se soumettra pas. […] »

texte complet disponible sur la bibliothèque anarchiste en ligne :

https://fr.theanarchistlibrary.org/library/voltairine-de-cleyre-de-l-action-directe

Les grands retournements

Mi-mars, la vie normale s’est arrêtée. La faute à la pandémie de Covid 19, une maladie rendue possible par le mode de vie toujours plus capitaliste et industriel de nos sociétés.
Alors que Macron clamaient que nous étions en guerre – en guerre contre lui oui ! – il imposait le confinement, pour empêcher la propagation du virus, tout en forçant des millions de personnes à continuer à travailler sans protection.

Des retournements se sont alors opérés.
Les exploité⋅es d’hier sont devenu⋅es les héro⋅ïnes d’aujourd’hui : infirmières et aide-soignantes, éboueurs, caissières, ouvrier⋅es… Et on s’est rendu compte que les plus valorisé⋅es dans le monde normal ne servaient à rien : iels étaient hors-jeu, et pourtant le monde continuait de tourner.
Des millions de personnes se sont retrouvées à ne plus pouvoir travailler tout en continuant à être rémunérés. Et ont pu se rendre compte que la vie « d’assisté⋅e », ce n’était pas forcément boire de la bière toute la journée en pyjama devant la télé.
L’argent magique, en fait, ça existe. Y’en a des milliards. Des milliers de milliards même, qui apparaissent en deux cliques.

Le confinement a été une période difficile et compliquée, et elle a des conséquences négatives sur des millions de personnes, toujours plus précarisées, exploitées, opprimées. Il est aussi le moment d’une brèche dans ce monde mortifère. L’impossible, l’inconcevable même d’hier est devenue une réalité aujourd’hui. Comme le fait de stopper presque entièrement l’économie pendant plusieurs semaines sans que le monde s’écroule. Maintenant, tout le monde sait que c’est possible.

Cette brèche, elle peut se refermer si nous restons seul⋅es dans notre coin. Le choc a été violent et ses secousses continuent. On ne pourra y faire face si on est isolé⋅e. Repensons collectif. Organisons-nous pour élargir la brèche et péter les murs qui nous cloisonnent depuis trop longtemps à coups de pioches. Soyons déter’ et solidaire, vénèr’ et réfractaire !

Manger local

T’y a cru toi aussi, que tu trouverais à Poitiers tes repères, un endroit pépère où militer, se retrouver sans se faire emmerder. Raté. Au menu, la bibliothèque libre et populaire (BLP) et la grotte. On a goûté, on n’en a pas repris, par peur de choper une intoxication.

La recette on s’en fout

On retrouve souvent un refus catégorique d’établir des règles, de réfléchir à des processus pour régir le fonctionnement des lieux et des collectifs. On entend trop souvent « on verra bien… », et quand le couac arrive, il faut le gérer dans le vif, souvent au détriment des mêmes : les personnes subissant des dominations et oppressions. Le mode d’organisation opaque, flou et non assumé, permet qu’en-dehors des initié·es personne n’y trouve sa place car personne ne sait comment ça fonctionne.

L’information, c’est le pouvoir, d’autant plus quand elle n’est pas partagée. Voilà comment devenir indispensable : être la seule personne à détenir la boite mail, à gérer les comptes, à connaître les ficelles. Monopoliser pour mieux régner. Être tellement là que le lieu devient à toi et tu deviens le lieu, et dommage si des gentes ne peuvent pas te blairer.

Pour que rien ne bouge rien de mieux que faire l’autruche. Pour une non-gestion des conflits au sein d’un collectif quoi de mieux que de ne pas en parler, de ne même pas envisager des espaces et des moments pour en discuter. Et même quand les discussions ont lieu, il est rare que des décisions soient prise. Pourtant, ne pas prendre parti c’est prendre le parti des oppresseurs.

Ça a un goût bien rance

Être à l’origine d’un projet collectif, de la création d’un lieu donnerait automatiquement un sentiment de légitimité. Qu’est-ce qui pèse le plus au moment de prendre des décisions, le temps passé, les idées proposées, la motive qu’on partage … ou l’ancienneté ? La légitimité, ça n’existe pas, c’est une fable toujours mobilisée par les dominant·es.

Toi, la personne légitime qui te reconnais dans ces lignes, comme tu es là depuis un moment, tu y as perdu ton corps et ton temps. Tu y as mis tellement d’affects que tu ne sais plus lâcher. C’est peut-être le moment de te casser et d’apprendre à te préserver pour ne pas éclabousser les murs avec ta rancœur dès que ça ne se passe pas comme tu l’as prévu. Tu nous écrases avec tes idées gravées dans le marbre, que tu assènes comme vérités suprêmes. Tu détruis les recherches, les tâtonnements, les questionnements par tes certitudes.

Comme une sale odeur

Et oui scoop, même dans ces lieux, les oppressions existent ! Tu t’en fous car tu as l’impression que cela ne te concerne pas – surtout surtout si tu es un mâle cis blanc hétéro et vieux. Que ça ne sert pas LA cause – mais laquelle, surtout la tienne ? Réfléchir sur ses propres privilèges, tu penses que c’est seulement pour les bourgeois, et qu’elles sont reloues ces personnes qui veulent un peu de considération et que les choses changent pour leur bien-être personnel.

Mettre l’eau avant la casserole

Nommer les choses, c’est bien joli mais cela ne suffit pas ! On le voit bien avec la BLP, libre et populaire ou avec la Grotte, qui s’autoproclame anarchiste et féministe¹. Sauf que si personne ne s’accorde sur le sens de ces mots et sur ce que cela implique comme mode d’organisation, comme manière de prendre les décisions, de gérer les désaccords et les problèmes, cela reste des coquilles vides.

Pourtant, y’a moyen d’faire autrement, ce n’est pas une fatalité. Poser des bases communes et les limites, notamment idéologique et politique mais aussi de fonctionnement ça ne mange pas de pain. Mais pour ça, faut prendre le temps de se connaître, de discuter, de faire ensemble et de créer de la confiance par des réunions mais aussi des moments de rencontre plus informels, des bouffes, des jeux… Pour ça, faut aussi se confronter, débattre, et accepter les désaccords, en créant des espaces collectifs et des moments dédiés et opportuns. Etablir collectivement des règles et des processus pour pouvoir vivre et faire des choses ensemble. Et ne pas avoir peur de se tromper.

des endives braisées

1 : communiqué de Safe & Vérères : Pourquoi la Grotte n’est pas un lieu féministe. à lire sur le site de la Sinse

Poitiers la cloisonnée

Poitiers, c’est une ville, un espace, avec ses codes, son histoire, ses fonctionnements. Avec ses habitants et ses sociabilités. Avec ses individus et ses collectifs. A Poitiers comme ailleurs, les institutions – monde du travail, famille, État – isolent de plus en plus les personnes et fragmentent les vies.
A Poitiers aussi, on fait face à une épidémie de solitude, inoculée par les institutions et propagée par les individus et même les collectifs. Et cette épidémie peut tuer. Elle peut tuer les individus – les personnes isolées ont une espérance de vie réduite – mais aussi les envies, les dynamiques, les espoirs, les projets, les luttes et les collectifs.

Quand on arrive à Poitiers, on n’est pas étouffé par la convivialité. L’interconnaissance est à la base des relations, à la base de la possibilité même des relations. Alors quand on ne connaît personne, on ne rencontre personne.
Et quand on fréquente des collectifs – sport, jeux, culture, art, aide, lutte, etc – il est difficile de dépasser l’objet du collectif pour se lier. On fait des choses ensemble, et puis on repart à sa vie. Le cloisonnement est érigé en norme.
A Poitiers, l’histoire joue un rôle considérable. Chaque groupe a son histoire, qui explique sa forme, son évolution, ses choix. Mais cette histoire n’est presque jamais transmise, des noms ou des événements étant parfois évoqués pour servir d’argument d’autorité, sans plus de détail ni de contexte. Comment participer à un jeu dont on ne connaît pas les règles ?

Les histoires et les relations interpersonnelles fragmentent la vie à Poitiers. Personne n’ira à tel événement qui se passe dans tel lieu tenu par tel collectif parce qu’autrefois, untel en faisait partie. Telle action est impossible au vu de ce qui s’est passé telle année. Unetelle n’est pas fréquentable parce qu’elle fait partie de tel collectif. Unetelle ne peut pas discuter avec untel parce que ce qu’il dit s’inscrit dans tel contexte faisant référence à tels événements qu’elle ne connaît pas et qu’il ne pense pas nécessaire d’expliciter.
A Poitiers, construire des relations prend énormément de temps. Construire de la confiance en prend beaucoup plus. En attendant, la solitude s’étend.

Pourtant, on sait que la coopération est extrêmement bonne pour la santé et pour la vie. Que l’isolement renforce et pérennise le capitalisme et tous les systèmes de domination et d’oppression. Comment faire face quand on est seul·e ? Quelles forces a-t-on, seul·e ? On n’en a pas, ou très peu. Dans ce monde, et à Poitiers, communiquer devient un acte de résistance. Pour résister au capitalisme et à son monde d’isolé·es, soyons ouvert·es et attentionné·es vis-à-vis des autres, et ne restons pas enferm·e·s dans nos groupes. Continuons à être critique mais arrêtons la méfiance systématique.
Parce qu’il est urgent de décloisonner Poitiers.

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