Mauvaise mine

Voilà un mot qu’on avait plus trop entendu sur le territoire français métropolitain depuis la vague de fermeture des années 1970-1980. Pourtant il y a toujours des exploitations de sel, bauxite, calcaires bitumineux, étain-tantale-niobium en métropole, à croire qu’elles se font discrètes. Les territoires colonisés, ont quant à eux jamais connu de répit, mines de nickel en Nouvelle-Calédonie et mines d’or en Guyane.
Concrètement une mine, c’est l’extraction industrielle d’un ou plusieurs minerais ou terre rares présentes dans les roches su sous-sol. Des milliers de m³ de roches brassées pour quelques tonnes de métaux. Quand on pense à quoi sert l’or… c’est-à-dire à pas-grand-chose à part en faire des bijoux (plus de 80_% de l’or sert à ça) ou des feuilles qui doreront le cul de jésus, on peut se dire que c’est franchement pas très utile. Après avoir été extrait à coup de bulldozer et d’explosif, fait du sous-sol un gruyère ou creusé des cratères géants à ciel ouvert, la roche est concassée dans une usine de raffinage pour ne pouvoir garder que les éléments présentant les matières recherchées. Dans les stériles (roche non exploitées), il reste des métaux soit en trop faible quantité, soit trop complexe à extraire pour être rentable, et oui une mine c’est fait pour faire de la thune. Ces stériles, contrairement à leur nom ne sont pas pour autant inoffensifs. Les roches stockées en tas géant à l’air libre font remonter des substances toxiques anciennement enfermées dans les couches du sous-sol. Avec le ruissellement et le lessivage des eaux de pluie, les substances s’écoulent tranquillement tout autour des sites, contaminant le sol et les eaux souterraines et de surfaces sur des kilomètres. L’ancienne mine de Salau en Ariège laisse ainsi s’échapper de l’amiante, dans la vallée de la Brévenne c’est le drainage minier acide qui dissous les métaux présents dans les roches et fait se déverser du cuivre… Mais sentons-nous rassuré, certains dépôts, ont été remodelés afin « d’adoucir les pentes » et « recouvert de terre végétale et ensemencé ».
Pour extraire les métaux des particules sélectionnées, celles-ci vont être secouées mécaniquement ou baignées de produits toxiques. Soit les produit dissolvent les métaux et permettent de les récupérer en surface, soit ils agrègent ceux-ci et permettent de les récupérer par gravité. Suite à ce traitement il reste des résidus, une boue hautement toxique qu’il faut stocker. Comme sur pas mal de site minier, les résidus sont stockés, parfois enfouis, parfois bâchés, souvent bâclé. I n’existe pas de recette miracle pour les faire disparaître.
Et pour couronner (en carton la couronne) le tout, les mines c’est aussi une construction de grosses infrastructures (route, chemin de fer…) pour acheminer les matériaux, la militarisation de zone pour défendre des cailloux et de l’exploitation d’humaine.s 24h/24h pour faire tourner la machine. Voilà le joli tableau.

Le retour des mines en france advient actuellement pour plusieurs raisons. Il y a le discours autour de la « souveraineté nationale », que l’on nous essaye de nous faire avaler. Celui-ci s’est développé dans un contexte de guerre aux portes de l’europe qui a provoqué une rupture de certains liens avec la russie, à qui la france achète pas mal de métaux et de terres rares. Environ 50_% du titane utilisé dans l’industrie de l’aéronautique en france proviendrait de russie. La pandémie a compliqué l’approvisionnement en provenance de chine, qui à elle seule produit plus de 80 % des terres rares. L’idée d’une nation souveraine, ne dépendant de (presque) rien d’autre que d’elle-même pour s’approvisionner est une illusion surfant sur des ressorts nationalistes.
La transition écologique et la numérisation du monde sont les autres pendants du retour des mines. Sous ses belles images vertes, l’éolien et le photovoltaïque sont des grands consommateurs (17kg de terre rare pour une éolienne, silicium cristallin et le tellurure de cadmium pour le solaire). La domotique et la smart city toute connectée, vidéo-surveillée, captée grâce à l’électronique et l’informatique omniprésente consomment également énormément (10kg de cobalt pour un ordi, 70 kg de matières premières extraites pour produire, utiliser et éliminer un seul smartphone). Le lithium, utilisé notamment dans les batteries de tous ses nouveaux joujoux électriques : bagnole, trottinette, vélo, soit disant non-polluant (sauf à la fabrication et à leur fin de vie) devient le nerf de la guerre techno-écolo.

La multinationale Imerys, grande représentante de l’extractivisme à l’international, a obtenu un permis d’exploitation pour l’extraction de lithium dans l’Allier, à Echassière, à l’emplacement d’une actuelle carrière de kaolin (granit). Sur ce site, enfermé dans ce granit métallifère se retrouve également d’autre métaux : étain, tungstène, plomb… et une grande quantité d’uranium et de thorium. Dans cette future mine, il est prévu de récupérer 0,9 % de lithium sur les roches. On peut se demander ce que va devenir les 99,1 % de roche au potentiel radioactif, teinté de métaux lourds. Imerys reste flou sur la question de la quantité de résidus miniers, mais également sur la quantité d’eau qu’il utilisera pour transporter et traiter son minerai, car les mines sont de grandes consommatrices d’eau. On pense au Chili, à l’Argentine et à la Bolivie qui extraient une grande partie du lithium du monde. Dans ces régions, il faut deux millions de litres d’eau pour produire une tonne de lithium (par un procédé d’évaporation), c’est une menace permanente qui plane sur les écosystèmes et les populations locales. Mais les populations ne sont pas dupes. En Serbie, la firme Rio Tino s’est vu refuser le permis d’exploitation pour l’ouverture d’une mine de lithium. Face aux massives manifestations et nombreux blocages de routes, mais aussi pour des raisons électoralistes, le gouvernement a toutefois cédé.

Des écolo au grand cœur pourraient s’attarder à dire, vaut mieux ici qu’ailleurs, au moins les conditions d’exploitation et de travail seront moins pire. Et bien nous répondons ni ici, ni ailleurs. Ouvrir des mines ici ne fera pas fermer de mines ailleurs. La machine ne s’arrête pas_, elle ne fait que s’agrandir. L’utilisation d’énergie qu’elle quelle soit est grandissante_: l’éléctrique n’a pas remplacé le pétrole, le pétrole n’a pas remplacé le charbon… Ce n’est pas remplacer qu’il faut envisager, c’est tout arrêter.

Retour du loup

C’est quasi-officiel_: le loup est de retour dans la vienne. C’est peut-être aussi le bon moment pour remettre en question le rapport à la « nature » que nous avons hérités de celleux qui, il y a des siècles, les ont exterminés.
Cette relation est la même qu’entre le boucher et le cadavre qu’il dissèque, entre le bourreau et la victime. Un bourreau qui va toujours plus loin dans les supplices. Les plaines céréalières sont belles comme des parkings. Les campagnes sont remplis de prisons de tôle où viennent s’entasser des vies que l’on vend au poids. Les forêts deviennent des cultures comme les autres : pesticides, coupes rases et monoculture. Les cours d’eau sont couverts de barrages, retenues et se retrouvent vidés pour remplir les bassines.
Ce que l’on appelle nature est devenu le pendant biologique de l’usine quand elle n’est pas simplement ravagée pour récupérer des métaux, terres rares et combustibles en tout genre. Les paysages que l’on nous vend comme naturels sont des créations humaines. Les alpages en sont un des exemples les plus frappants : déboisement, exploitation intensive des ressources, élevage, bétonisation…
La nature n’est pas vue comme ce qui nous entoure et au sein de laquelle nous devrions nous inscrire mais comme une entité extérieure à contrôler et exploiter.

L’adaptation que l’on nous vend n’est pas la capacité de vivre dans un relatif équilibre avec son environnement mais la capacité de multiplier les ravages afin d’éviter de remettre en question le fonctionnement global. Les technologies et leurs nuisances ne se remplacent pas mais se superposent. Ainsi les anciens pesticides interdits ou plus assez efficaces n’auront pas disparus des sols, de l’air et de l’eau, quand viendront s’y rajouter leurs remplaçants. Les énergies « renouvelables » viennent augmenter la production électrique mais non pas fermer les anciennes centrales.
Le loup peut revenir mais l’environnement dans lequel ill vivait, il y a des centaines d’années, ne reviendra jamais. Les nuisances que nous avons crées, du nucléaire aux polluants éternelles (les PFAS par exemple), des terrils à la bétonisation ne disparaîtront probablement jamais, même si nous arrêtions tout maintenant.
Non seulement il faut détruire ce qui nous détruis, mais il nous faudra encore réparer pendant longtemps les conséquences de tout cela. D’où l’importance d’empêcher maintenant l’extension continue du désastre. Qu’il s’agisse de l’installation de nouveaux élevages, d’usines, de projets agro-industriels, d’infrastructures de transports (aéroports, autoroute, lignes ferroviaires…), ou énergétique (centrales, lignes THT, oléoducs ou gazoducs).

Portefeuille d’identité numér’hic

On n’en entend pas encore trop parler alors qu’il va bientôt nous tomber sur la tronche une nouvelle merde dématérialisée… on vous présente : le portefeuille d’identité numérique.
A la benne ton vieux larfeuille en cuir végan si encombrant, place au tout numérique.
En scannant ta tronche avec ton smartphone (et un code de sécurité quand même), tu vas avoir accès à tout tes documents « officiels », ta carte d’identité pour consommer dans les bars, ton passeport pour passer les frontières, ta carte de sécu pour la pharmacie, ton permis pour les keuf, ton diplôme pour ton employeur… Des documents pour des usages de services publics, mais aussi pour des acteurs du privé qui auraient envie d’une ou plusieurs données d’identification. Ce qui sera super, c’est que tu pourras l’utiliser partout en europe, juste pour préciser que c’est déjà le cas aujourd’hui avec tes papiers en papiers, mais bon un peu de fausse nouveauté ne fait pas de mal. La commission européenne vise à convertir 80 % de la population d’ici 2030 à l’utilisation de l’identification numérique. Évidement personne ne sera obligé d’y recourir mais la vie te sera juste un peu plus compliqué (voir impossible), on peut s’imaginer la complexité s’il n’y a plus que des machines pour traiter des Qcodes, s’il n’y a plus que des applis pour faire je ne sais quoi (comme c’est déjà le cas pour louer des vélos libre service…), il te faudra galérer pour avoir un rendez-vous avec un.e humain.e pour traiter avec tes vieux papiers obsolètes, sachant que la tendance est plutôt à la disparition de ce genre de service. Tu ne sera donc pas obligé.e mais fortement contraint.e.

Mais rassurons nous, c’est « Une technologie qui nous permettra de contrôler quelles données nous partageons et l’usage qui pourra en être fait. ». Le tout sera dans une appli super sécurisée alors tout va bien. Ils font même ça pour notre plus grand bien, car « la puissance publique [cherchent] à éviter que les Gafam ou d’autres géants d’internet étrangers ne préemptent ces dispositifs d’identification […] ». Nous, ça ne nous rassure pas tant que ça, car on se méfie des méchants Gafam mais aussi de l’État .
Ce qu’on constate, c’est que la pente glissante de la vérification d’identité permanente (mais pas obligatoire hein, tu as encore le droit de rester enfermé chez toi), banalisée par le pass sanitaire est en train d’être institutionnalisée et diffusée comme une pratique anodine et quotidienne. Actuellement, on te demande ton nom, prénom, etc, pour un billet de train, ta carte d’identité pour acheter un bouquin avec le pass culture… Et ce contrôle d’identité permanent servira à fliquer toujours plus les personnes sans les bons papiers que ce soit en raison de leur provenance géographique, de leur genre non conforme, de leur situation illégale… Et on peut se demander quelle sera la limite des infos qui seront accessibles par ce biais-là. Bref on peut imaginer le pire. On peut nous accuser d’être alarmiste et d’utiliser l’argument de la pente glissante à tors et à travers. Pourtant on voit bien qu’avec la diffusion du numérique on est dedans. Les ordis sont passés du choix privé à l’obligation/nécessité en prenant de plus en plus de place dans les écoles de la primaire à la fac, pour devenir incontournable, au lycée du futuroscope LP2II, tu y vas pas si t’as pas d’ordi. Charmante sélection sociale. Au départ, ça devait nous faciliter la vie… aujourd’hui sans smartphone il est de plus en plus compliqué de faire certaine chose car il n’y a plus que des applis pour le faire : avoir accès à des fonctions de ta banque, prendre un vélo soit disant en libre service, recevoir des infos de sous-traitant de pôle emploi… Donc on va se laisser à penser au pire, car le smartphone et le portefeuille d’identification numérique sont des prérequis nécessaires pour la mise en place de système de surveillance et de contrôle. On pense au crédit sociale développé en chine où environ 95% des utilisateurs utilisent le web via un smartphone. Les infos privées (l’historique de crédits, les liquidités, les données personnelles, les achats, les habitudes, les comportements et les contacts de réseaux sociaux) et publics (la base de données des tribunaux) sont collectées pour le calcul des scores à attribuer aux personnes. Ce score facilite ou restreint tes accès à des services publics ou privés. Voilà de quoi nous réjouir.

Air Rance

Les éoliennes poussent comme des champignons dans le coin, plus Amanite tue mouche que Coulemelle. On nous les vends à toutes les sauces, teintée de vert évidement. L’éolien à le vent en poupe auprès des politiques de tout bords (sauf des pro-nucléaire quand même !), auprès des écolo-capitalistes mais aussi auprès des promoteurs qui y trouvent un bon filon économique. Les éoliennes véhiculent une image mignonne du respect de l’environnement et une jolie solution toute trouvée pour réduire la consommation d’énergies fossiles.

Quelques voix s’élèvent tout de même, à droite et à gauche, pour dénoncer l’enmochissement des campagnes pourtant déjà bien ravagées par l’agro-industrie qui étend ses champs, ses produits de mort et ses hangars à bestiaux à perte de vue. Quelques écolos s’indignent car les pales des éoliennes tuent quelques oiseaux de plus, mais aussi perturbe la nidification et la reproduction de certaines espèces. Quelques riverain.es s’opposent car iels vont directement être impacté.es par le bruit de la nacelle ou du vent dans les pales, par les flash lumineux qui empêchent l’obscurité, par le prix de la maison qui va chuter.
Nous on aimerait porter la voix de celleux qui disent que l’éolien industriel, c’est de l’industrie lourde, polluante, qui va dans le sens d’un monde capitaliste, extractiviste et colonial.
Pour mettre en place une éolienne qui a une durée de vie d’environ 25 ans, il faut raser des forêts (sauf si c’est en plein champ), élargir et refaire des routes pour faire passer des convois géants, excaver et couler 500m3 de béton (ou plus) sous chaque mât. L’éolien industriel, c’est aussi des lignes à haute ou très haute tension (THT) et de gigantesques transformateurs pour envoyer ces mégawatt ailleurs.
« Chaque éolienne contient 600kg de terres rares, essentiellement du néodyme. L’exploitation et le raffinage de ce métal se fait principalement dans la ville de Baotou (en Mongolie Intérieure), surnommée « la ville du cancer ». Les rejets chimiques de cette industrie ont pollué toute la région : l’espérance de vie est désormais de 40 ans et la radioactivité est deux fois supérieure à celle mesurée à Tchernobyl. Chaque éolienne contient également plus de 4 tonnes de cuivre extrait dans les gisements d’Amérique du Sud où des villages entiers sont expropriés par les forces armées pour permettre aux firmes occidentales d’exploiter la richesse du sous-sol et la vie des ouvriers. Pour verdir ici, on noircit là-bas. »1

Les projets d’implantation de ces mégas machines industrielles poussent sans encombre, facilités par le ministère de la transition énergétique, les communes n’ont pas leur mots à dire. La procédure est rapide et simple. Une fois le foncier négocié avec les proprios, des études d’impacts sont réalisées. Suite à quoi le préfet délivre (ou non) l’autorisation environnementale étayée par les conclusions d’une enquête publique. En 2019, entre Poitiers, La Rochelle, Angoulême, Limoges et Guerret on compte une cinquantaine de parcs éoliens déjà en fonctionnement, plus de 75 projets autorisés, une soixantaine en cours d’instruction, et seulement une quinzaine de projets refusés ! On voit que les préfets vont bien dans le sens du vent.
Et ces projets industriels profitent évidement toujours aux mêmes, aux exploitants, qui vont revendre aux états leur énergie soit disant verte à prix d’or. Pour racheter à des prix faramineux cette électricité faut bien que l’état trouve de la thune, quoi de plus simple que de taxer encore un peu plus les consommateurices en leur prélevant notamment la CSPE (Contribution au Service Public de l’Électricité)2. La boucle est bouclé.
A Poitiers on a la joie d’avoir les entreprises Eolise et Ostwind pour mettre en place des projets éoliens dans le coin et ailleurs.
Mais critiquer l’éolien, c’est critiquer l’énergie industrielle dans son ensemble qu’elle soit hydroélectrique ou nucléaire également, mais c’est critiquer surtout le monde pour lequel ces énergies sont produites…

Brochures trouvables sur infokiosque :
1/ Plaidoyer contre les éoliennes industrielles [courte et efficace]
2/ Le vent nous porte sur le système ou comment être anti-nucléaire sans devenir pro-éolien [plus technique]

Le labyrinthe technologique

Ce texte a été publié dans le numéro 3 de la revue Salto – subversion & anarchie parue en aout 2013 et diffusée sur internet sur salto.noblogs.org. Nous avons mis dans cette version uniquement des extraits du début de l’article pour des raisons de place. Nous vous incitons à aller voir l’article dans sa version complète en ligne.

«Comment s’attaquer à une question aussi complexe que celle de la technologie ? Passer la technologie au crible signifie analyser la totalité de cette civilisation moderne : non seulement ses perspectives industrielles, ses appareils et structures, mais aussi les hiérarchies et les spécialisations que ces appareils induisent dans les rapports sociaux, ces « modestes objets » qui ont bouleversé notre mode de vie jusque dans ses racines et ont mis sans dessus-dessous nos rêves et désirs, la façon de se concevoir soi-même et de concevoir notre monde.

Un mode de vie

[…] identifier la technologie uniquement comme des instruments et des machines, ou prétendre que tout effort physique pour fabriquer des objets matériels relève de la technologie, revient à ne pas avoir compris sa signification. La technologie a totalement changé la vie, et les structures technologiques ont modifié entièrement les rapports humains et les ont remodelés à leur propre image.
Définir la technologie comme la façon dont l’humain accomplit une action – de la récolte des fruits au lancement d’une fusée spatiale –, prétendre qu’une société où tous les efforts humains sont dominés par la technologie est substantiellement semblable à une société qui dispose de techniques limitées, revient à voiler le fait que la technologie est un mode de vie, un type spécifique de société. Ainsi fonctionne la conscience technocratique qui objectivise le monde et l’ampute de façon à ce que la technologie soit d’un côté perçue comme omniprésente et universelle et de l’autre réifiée comme un objet extérieur aux rapports sociaux, car soi-disant « neutre ». […]
Tout comme le capital a été assimilé aux structures industrielles et aux richesses accumulées, alors qu’en vérité il est beaucoup plus que des usines et de l’argent – car un fait des rapports sociaux –, la technologie a été confondue de la même manière avec les machines et les instruments alors qu’il s’agit d’une forme qualitativement différente de domination – consistant en des rapports sociaux. La technologie, c’est le Capital, le triomphe de l’inorganique, l’humanité séparée de ses outils et universellement dépendante des appareils technologiques. (Les critiques de la technologie sont régulièrement accusées de s’opposer à l’outil, tandis que c’est la technologie moderne qui, à travers la mécanisation de la vie, a détruit les outils et a ainsi dégradé l’activité humaine.)
La technologie, c’est l’incorporation et la mécanisation de la vie, la prolétarisation universelle de l’humanité et la destruction de la sociabilité. Il ne s’agit pas simplement de machines, ni de la seule mécanisation ou incorporation. Un tel phénomène n’est pas nouveau dans l’histoire ; ce qui est nouveau, c’est le fait que ces fonctions aient été projetées et incorporées dans tous les aspects de notre existence.
[…]
Aujourd’hui, la technologie n’est plus un ensemble d’instruments et de techniques, mais un ordre social. Autrefois les techniques locales, diverses et limitées portaient la marque de la culture et des individus qui s’en servaient (ce qui ne signifie pas pour autant que cette culture était émancipatrice), tandis que la technologie actuelle transforme universellement toutes les conditions individuelles. Elle crée une civilisation singulière, écrasante et homogène qui abat « toute muraille de Chine », crée un sujet humain dépossédé et atomisé, sous le voile de la différentiation apparente, identique de la Laponie à Taïwan.
Aucune machine spécifique ou aspect particulier de la technologie n’est responsable de cette transformation. C’est plus la convergence d’une pluralité dans l’être humain, non pas de techniques, mais de systèmes techniciens. Le résultat est un totalitarisme opératif ; aucun aspect de l’humain n’est libre et indépendant de ces techniques. […] »

Les villes de servitude

Une des pratiques de la domination est de verrouiller totalement nos schémas de pensée pour que bien souvent même nos révoltes se déroulent dans la norme. Cette fermeture mentale empêche d’imaginer la possibilité d’un monde autre et donc d’agir pour mettre fin à celui-ci.
Ose-t-on seulement évoquer l’idée que les prisons doivent être rasées, et voilà que dans la tête des personnes avec qui on parle se lève une armée d’objections. Pourtant que l’on y adhère ou pas, il existe de multiples propositions de société sans prisons, certaines existent encore aujourd’hui. Certaines sont juste la continuité de ce monde, en proposant de transformer chaque appartement en cellule grâce aux bracelets électroniques. Celle que nous voulons représente une transformation largement plus radicale, puisqu’il ne s’agit pas de changer la manière de punir, mais de se débarrasser du besoin et de l’envie de punir. Mettre fin au vol en mettant fin à la propriété. Mettre fin aux viols en détruisant la culture du viol et le patriarcat. Mettre fin aux violences racistes en détruisant les races sociales et le colonialisme.
Ce verrouillage des imaginaires est clairement le produit de la propagande constante de l’état, du capital et du patriarcat, qui cherche à faire passer l’être humain comme naturellement mauvais et comme inévitable l’horreur quotidienne. Alors que c’est cette même propagande qui pourrit aussi les individus qui sont comme des éponges dans une fosse septique. À travers les médias, la publicité, les films, les séries et nombre de livres, une production culturelle permanente pour nous empêcher de voir que les rouages qui font tourner cette société peuvent non seulement être arrêtés, mais aussi détruits. Parce qu’on nous cache comment ces rouages ont été forgés et l’entretien constant qu’il demande.

Ce verrouillage mental se retrouve aussi dans le monde que nous parcourons à pied plutôt qu’en pensée. Une des illustrations les plus parlantes, c’est celle de toutes ces petites villes où l’économie repose sur quelques activités du pouvoir.
Comment les 7 200 habitant·es de Saint-Maixant l’école pourrait imaginer un monde sans armée quand toute la ville repose sur l’existence d’un lieu de formation annuelle de plusieurs milliers de bourreaux d’état ?
Comment penser un monde sans nucléaire dans l’ombre menaçante de la centrale de Civaux ? Une centrale qui apporte son lot d’ouvrier·es intérimaires (les plus exposé·es aux radiations) et d’absurdités en tout genre. Comme cette cage géante à crocodiles en plein cœur du poitou.
La ville de Vivonne, c’est 4 300 habitant·es, dont au moins 600 prisonnier·es des geôles de l’état. Et combien des 261 tortionnaires se sont installé·es sur place ? Entre 2009 (construction de la prison) et 2014, la commune est ainsi passée de 3 200 habitant·es à 4 200. L’ancien maire, Maurice Ramblière, ne cesse de se féliciter de la présence d’un lieu de torture et d’exploitation à longueur d’interview dans la presse. Sans contrat de travail, payé·e 1,23€ de l’heure (voir à la pièce), avec des comptes bancaires gérés par l’administration pénitentiaire, il est évident que ce genre de conditions fait saliver bien des employeurs (comme EDF, Renault, Yves Rocher, L’Oreal, Agnes B, Post It, Hachette, JC Decaux et d’autres).
Comment imaginer ce monde sans la prison, quand du voisin·e au buraliste, tous en « profitent » ? Nouvelle ligne de bus, écoles agrandies, trains régionaux augmentés, halle des sports, station d’épuration, et bien sûr une nouvelle gendarmerie.

Des prisons aux casernes en passant par le nucléaire, la domination n’est pas une accumulation de faits séparés. Elle est une immense toile qui partout s’étend.
La domination, ce n’est pas quelques personnes en costume et uniforme qui siègent dans des palais lointains. La domination, c’est aussi un ensemble de structures réparties sur tout le territoire.
Mais la domination est aussi dans la résignation quotidienne. Dans nos tolérances envers celleux qui permettent la reproduction de ce monde.
Et Poitiers dans tout ça ? De quoi la ville aux mille clochers de trop est-elle dépendante ? Ne serait-ce pas de cette tentaculaire université ?

Sélections contre le technomonde

7 mai 2019 à Kouaoua (territoires colonisés de kananie) : Incendie de la serpentine (une sorte de tapis roulant pour acheminer le minerai). L’incendie, comme les précédents, conduit à une interruption de l’activité minière jusqu’à la réparation.

3 janvier 2019 à la Limouzinière : Incendie d’une nacelle éolienne. Plusieurs semaines voir mois avant qu’elle puisse de nouveau produire de l’électricité.

7 janvier 2019 à Folles : Sabotage du mat de mesure éolien de la société Eolise. Le mat servait à prévoir l’implantation d’un parc éolien.

14 & 17 mai 2019 à Saint-Julien-Molin-Molette : Incendie d’engins de chantiers et d’utilitaires et de trois bâtiments algeco chez eurovia (entreprise du groupe Vinci) et dans une carrière. Revendiqués par des rapaces du Rajas sur nantes.indymedia.

11 février 2020 à Limoges : Incendie de 8 véhicules d’Enedis. Attaque revendiquée dans un courrier disponible sur labogue.info.

23 février 2020 à Gières : Incendie dans un immeuble hébergeant un laboratoire de recherche sur le domaine universitaire. Le laboratoire en question travaillait sur la mécanique du solide pour des applications dans le génie civil.

5 mai 2020 à Toulouse : Revendication de la crevaison de pneus de nombreuses voitures appartenant à “à l’état, au département, à Vinci, à SCS (une entreprise de télé-surveillance), à Enedis, à EDF, à un fournisseur gaz, à un installateur de fibre optique, un autre de télécom, à une entreprise de « Smart solutions pour industriels », à une agence immobilière”

23 juin 2020 à Erquy : Dégradations (dont tentative d’incendie) contre un véhicule de RTE (Réseaux de Transport d’électricité de france) alors que les agents réalisaient des études pour l’installation d’un parc éolien.

24 septembre 2020 à Pierrelatte : Sabotage de l’antenne 3 et 4G réalisé en cisaillant les câblages reliant l’antenne au réseau et à la fibre optique.

1er décembre 2020 au Massif de l’Étoile : Incendie dans un local technique au pied du pylôme de relais télévision du 2e plus important émeteur de télédiffusion. 3,5 millions de personnes privées de propagande télévisée et radiophonique. Le feu est parti de l’extérieur du site sur les câbles faisant le lien entre le local technique et l’antenne.

18 février 2021 à Brézins : Incendies visant la société Constructructel Constructions et Telecom, spécialisée dans le déploiement de réseaux de télécom et fibre optique.

19 février 2021 à Laz : Tags contre une centrale photovoltaïque portée par Total Quadran.

23 février 2021 : Revendications de deux incendies visant l’entreprise Constructel. Ont été ciblés l’antenne-relais, les bobines de câbles d’antennes et de fibres optiques.
Revendication disponible sur nantes-indymédia sous le titre “Et si les stocks de câbles venaient à brûler ?”.

4 mars 2021 à Château-Arnoux-Saint-Auban : Revendication de l’incendie des bureaux et d’un 4X4 de la société télécom GMS (filiale de Scopelec). Installateur de la 5G.

La 5G et le technomonde

Parait que la 5G est une invention formidable, graphique et chiffre absurde à l’appui. Que ce sera un véritable moteur pour la croissance, c’est-à-dire un nouveau moyen pour les exploiteurs d’accroitre leurs profits.
La 5G n’est qu’une des multiples briques des murs que la domination ne cesse de construire autour de nous. Des caméras pour nous fliquer dans la rue aux logiciels de reconnaissance faciale, en passant par l’utilisation de nos téléphones portables, véritables mouchards de poche. Mais la spécificité de la 5G et des autres briques de communication, c’est qu’elles permettent l’interconnexion de ces outils de domination.
Qu’elle soit au sommet d’un poteau, accrochée à un drone ou simplement entre les mains d’une pourriture en uniforme, la caméra reliée par internet aux serveurs de la police pourra utiliser les logiciels de reconnaissance faciale. On peut penser que le drone sera télécommandé aussi en utilisant la 5G. Et ces informations pourront être vérifiées en temps réel avec différents moyens de localisation des téléphones.
Sans interconnexions, tout ceci devient plus complexe à mettre en place voir tout simplement impossible. Les antennes-relais, les nœuds de fibres optiques sont d’une certaine manière les veines de la domination. Mais les cœurs qui propulsent ce liquide numérique n’ont pas changé et les vampires qui s’y abreuvent n’ont plus. Le télétravail enrichit toujours les mêmes exploiteurs. L’école à la maison fabrique toujours les mêmes citoyen·nes-employé·es. Le travail dans les entrepôts des sites de vente en ligne est aussi horrible que dans les usines.
Pour alimenter tout ça, il faut des minerais et donc des mines. Il faut des soldats pour contrôler les terres et les livrer aux saccages. Il faut des usines et des centrales pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement des machines. Il faut des scientifiques et des ingénieurs pour concevoir tout ça, des excavatrices aux réacteurs nucléaires en passant par les chaines de production.
Derrière cet entrelacs de fibres, on retrouve les mêmes ordures qu’hier. Que les câbles se coupent, et voilà que le commerce doit s’arrêter. Qu’une antenne s’enflamme et c’est la voix du pouvoir qui cesse de résonner. Les fiches qui servent aux états à quadriller nos existences, de la carte d’identité au fichage génétique, ne sont plus au fond de tiroir, mais dans des data-centers. Qu’une caméra soit détruite et c’est le techno-flic qui devient borgne.
Ces technologies ne sont pas une forme nouvelle du pouvoir, mais une extension. Les caméras ne diminuent pas le nombre de flics qui rôdent en bagnoles. Les bracelets électroniques ne diminuent pas les prisons, mais transforment chaque domicile en cellule potentielle. Ces technologies viennent compléter l’arsenal du pouvoir. Toute réponse technicienne à un problème issu de cette société ne fait que renforcer la domination. Ainsi les dispositifs techniques pour censurer les sites pédophiles marchent aussi bien contre les sites subversifs. De plus, ils n’ont aucun effet sur la pédocriminalité puisqu’ils ne s’attaquent pas aux causes du problème. On a vu le même mécanisme au sujet de l’ADN qui a été vendu comme un moyen d’arrêter les violeurs et les meurtriers, mais qui sert aujourd’hui à fichier n’importe qui.
Ces dispositifs techniques nous privent de notre capacité à agir en confiant la résolution du problème à d’autres. Et soyons clairs, les scientifiques et les ingénieurs qui développent ces technologies n’ont pas du tout les mêmes intérêts que nous.

Derrière l’écran

Là-bas dans les montagnes se dressent des créatures titanesques. Des monstres de métal qui dévorent le sol. De gigantesque rabots qui couche après couche détruisent jusqu’à l’idée même de la vie. Immenses outils au service de la faim sans fin de ce monde qui réclame à chaque instant de plus en plus de jus, jusqu’à passer toute la planète au presse-agrume.
Et tout ça pour quoi ? Pour quels buts ? Pour produire, encore et toujours, du nécessaire comme du superflu. Pour éclairer les hangars sordides où s’entassent la protéine animale, pour faire fonctionner les usines à bombes, pour illuminer les écrans et dessécher les rétines. Des trous dans la terre, des trous dans les crânes. Les vallées disparaissent innondées par les barrages tandis que nous nous noyons dans l’actualité.
Les vibrations de ces monstruosités remplacent les battements de nos coeurs. Partout s’impose le rythme des méchanismes et des algorithmes. De la chaîne de montage jusqu’à nos vies sentimentales, notre temps appartient aux horloges. Et chaque jour qui passe sous leur règne nous rapprochent d’elles. Nos gestes deviennent des automatismes, nos pensées des routines.
Là-bas dans la plaine courent sur le sol des centaines de kilomètres d’oléoducs. Veines toujours luisantes du léviathan. Pour propulser la locomotive qui nous conduit à l’abîme.